Nathalie Mlekuz: - Peut-on parler d’un | | C’est là qu’intervient le mythe de [id:65099] : la |
comportement nouveau en matière d’expatriation? | | possibilité de trouver d’autres règles, d’autres schémas, |
Patrick Lemattre - Il y a effectivement un compor- | | d’autres rapports humains. En fait, c’est une fuite |
tement nouveau. Pour la génération que j’appelle celle | | offensive qui leur permet d’échapper aux contraintes et |
de la tradition, qui a vécu la guerre, l’expatriation était | | aux rigidités culturelles franco-françaises. [id:65100] si, au |
rarissime. Hors des ex-colonies, peu y pensaient. Pour la | | bout du compte, ils retrouvent souvent les mêmes |
génération suivante, celle du baby-boom, [id:65094] | | systèmes. Mais ça, ils ne le découvrent qu’après. Au |
dépendait essentiellement de la stratégie de | | départ, ils veulent surtout faire autre chose, vivre |
l’entreprise dans laquelle on travaillait: on allait | | autrement, et l’étranger représente une possibilité |
s’installer en Allemagne dans le cadre de l’ouverture | | d’aller dans ce sens. |
d’une filiale, et on vivait cela comme un «plus» dans la | | N.M. - Quelles sont les principales caractéristiques de |
carrière. Pour la génération nouvelle, celle née après | | ces expatriés? |
1974, partir fait partie des possibles [id:65095] s’est faite | | P.L. - Ce sont souvent des personnes qui ont l’esprit |
sur ces quinze, vingt dernières années. Désormais, les | | d’entreprise. Ou plutôt l’esprit d’entreprendre. C’est-àdire |
lycées possèdent tous un programme d’échanges, les | | qui souhaitent conduire leur vie comme une |
voyages se sont largement démocratisés et les jeunes, | | entreprise et [id:65101] que les opportunités pour gérer |
par leurs modes de vie, leurs choix musicaux ou | | et développer cette entreprise sous toutes ses facettes - |
vestimentaires¹, sont aussitôt à l’heure de la | | professionnelles mais aussi familiales, personnelles... - |
mondialisation. | | se trouvent davantage ailleurs que dans un système de |
N.M. - Quelles sont les [id:65096] de ceux qui partent? | | plus en plus fermé. |
P.L. - Pour les jeunes générations, il existe | | N.M.- Les opportunités d’insertion à l’étranger ne |
aujourd’hui deux mots d’ordre: survivre et s’éclater. | | sont-elles pas réservées à des jeunes bardés de |
Survivre, c’est-à-dire se prendre en charge et ne plus | | diplômes? |
compter sur le système pour réussir à se faire une place | | P.L. - Pas systématiquement. Il y a aussi des places à |
au soleil. Et s’éclater, dans le sens où ils recherchent un | | prendre pour des jeunes qui n’ont pas de diplômes très |
travail qui ait du sens, qui soit intéressant, qui leur | | élevés mais qui ont quelque chose à vendre. Exemple |
donne du plaisir… Face à ces demandes, les réponses | | typique: quelqu’un qui a un savoir-faire de boulanger |
traditionnelles françaises, notamment au niveau des | | pâtissier peut très bien [id:65102] à l’étranger, aussi bien |
entreprises, sont [id:65097]. L’exemple de leurs parents | | aux Etats-Unis qu’à Hongkong ou au Japon... De |
brusquement mis au chômage à cinquante, cinquante- | | même, pour quelqu’un qui a commencé à travailler |
cinq ans, les laissent sceptiques… Ils ont aussi | | dans la restauration. Simplement il faut prendre le |
l’impression que tout ce qu’on leur a raconté sur le | | risque. |
management participatif, la disparition des hiérarchies, | | N.M. - S’agit-il, selon vous, d’un phénomène qui |
le dialogue direct ne correspond pas vraiment à ce | | [id:65103]? |
qu’ils découvrent sur le terrain. La société française, | | P.L. - J’en suis persuadé. La seule question concerne |
avec ses taux de croissance peu élevés, leur apparaît | | le temps nécessaire pour que ce phénomène encore |
bloquée, pleine de rhumatismes et sans réelle | | élitiste touche, à terme, un public beaucoup plus vaste. |
possibilité de [id:65098] les choses. Enfin, ces jeunes ont | | Cela va, à mon avis, prendre encore pas mal d’années. |
souvent le sentiment que la génération précédente, | | |
celle du baby-boom, s’accroche au pouvoir qu’elle n’a | | Propos recueillis par Nathalie Mlekuz, dans |
pas envie de partager. D’où une envie d’aller voir | | «Le Monde de l’éducation, de la culture et de la |
ailleurs... | | formation», mai 1997 |