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Patrick Lemattre

S’expatrier à l’heure de la mondialisation: questions à Patrick Lemattre

Longtemps absente de la culture française, l’expatriation séduit aujourd’hui de plus en plus de jeunes. Patrick Lemattre, professeur à l’Ecole des hautes études commerciales et consultant auprès de grandes entreprises, qui s’intéresse aux évolutions socioculturelles et aux mutations des comportements professionnels, essaie d’expliquer ce phénomène.
   Nathalie Mlekuz: - Peut-on parler d’un      C’est là qu’intervient le mythe de [id:65099] : la
   comportement nouveau en matière d’expatriation?possibilité de trouver d’autres règles, d’autres schémas,
   Patrick Lemattre - Il y a effectivement un compor-d’autres rapports humains. En fait, c’est une fuite
tement nouveau. Pour la génération que j’appelle celleoffensive qui leur permet d’échapper aux contraintes et
de la tradition, qui a vécu la guerre, l’expatriation étaitaux rigidités culturelles franco-françaises. [id:65100] si, au
rarissime. Hors des ex-colonies, peu y pensaient. Pour labout du compte, ils retrouvent souvent les mêmes
génération suivante, celle du baby-boom, [id:65094]systèmes. Mais ça, ils ne le découvrent qu’après. Au
dépendait essentiellement de la stratégie dedépart, ils veulent surtout faire autre chose, vivre
l’entreprise dans laquelle on travaillait: on allaitautrement, et l’étranger représente une possibilité
s’installer en Allemagne dans le cadre de l’ouvertured’aller dans ce sens.
d’une filiale, et on vivait cela comme un «plus» dans la   N.M. - Quelles sont les principales caractéristiques de
carrière. Pour la génération nouvelle, celle née après   ces expatriés?
1974, partir fait partie des possibles [id:65095] s’est faite   P.L. - Ce sont souvent des personnes qui ont l’esprit
sur ces quinze, vingt dernières années. Désormais, lesd’entreprise. Ou plutôt l’esprit d’entreprendre. C’est-àdire
lycées possèdent tous un programme d’échanges, lesqui souhaitent conduire leur vie comme une
voyages se sont largement démocratisés et les jeunes,entreprise et [id:65101] que les opportunités pour gérer
par leurs modes de vie, leurs choix musicaux ouet développer cette entreprise sous toutes ses facettes -
vestimentaires¹, sont aussitôt à l’heure de laprofessionnelles mais aussi familiales, personnelles... -
mondialisation.se trouvent davantage ailleurs que dans un système de
   N.M. - Quelles sont les [id:65096] de ceux qui partent?plus en plus fermé.
   P.L. - Pour les jeunes générations, il existe   N.M.- Les opportunités d’insertion à l’étranger ne
aujourd’hui deux mots d’ordre: survivre et s’éclater.   sont-elles pas réservées à des jeunes bardés de
Survivre, c’est-à-dire se prendre en charge et ne plus   diplômes?
compter sur le système pour réussir à se faire une place   P.L. - Pas systématiquement. Il y a aussi des places à
au soleil. Et s’éclater, dans le sens où ils recherchent unprendre pour des jeunes qui n’ont pas de diplômes très
travail qui ait du sens, qui soit intéressant, qui leurélevés mais qui ont quelque chose à vendre. Exemple
donne du plaisir… Face à ces demandes, les réponsestypique: quelqu’un qui a un savoir-faire de boulanger
traditionnelles françaises, notamment au niveau despâtissier peut très bien [id:65102] à l’étranger, aussi bien
entreprises, sont [id:65097]. L’exemple de leurs parentsaux Etats-Unis qu’à Hongkong ou au Japon... De
brusquement mis au chômage à cinquante, cinquante-même, pour quelqu’un qui a commencé à travailler
cinq ans, les laissent sceptiques… Ils ont aussidans la restauration. Simplement il faut prendre le
l’impression que tout ce qu’on leur a raconté sur lerisque.
management participatif, la disparition des hiérarchies,N.M. - S’agit-il, selon vous, d’un phénomène qui
le dialogue direct ne correspond pas vraiment à ce[id:65103]?
qu’ils découvrent sur le terrain. La société française,P.L. - J’en suis persuadé. La seule question concerne
avec ses taux de croissance peu élevés, leur apparaîtle temps nécessaire pour que ce phénomène encore
bloquée, pleine de rhumatismes et sans réelleélitiste touche, à terme, un public beaucoup plus vaste.
possibilité de [id:65098] les choses. Enfin, ces jeunes ontCela va, à mon avis, prendre encore pas mal d’années.
souvent le sentiment que la génération précédente,
celle du baby-boom, s’accroche au pouvoir qu’elle n’a   Propos recueillis par Nathalie Mlekuz, dans
pas envie de partager. D’où une envie d’aller voir   «Le Monde de l’éducation, de la culture et de la
ailleurs...   formation», mai 1997
noot 1: vestimentaires = wat de kleding betreft