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Décibels: attention les jeunes

11    Vingt-six pour cent des jeunes utilisateurs de baladeurs souffrent de troubles de
2 l'audition. Tels sont les résultats, alarmants, d'une récente enquête menée par le professeur
3 Patriek Buffe, chef d'une clinique parisienne spécialisée dans le domaine. Ses «clients»,
4 pourtant, élèves de Il à 18 ans, ne présentaient ni antécédent ni risque particulier.
25    Dépêche Mode serait le groupe le plus bruyant, avec 110 décibels émis en continu
6 pendant les trois heures de concert. Soit, pour les fans placés à cöté des sourees sonores, un
7 bruit équivalent à celui d'un Boeing 747 au décollage. Madonna ne mégote pas davantage
8 avec le volume sonore: trente de ses fans ont d û être hospitalisés pour troubles auditifs
9 après son passage à Lausanne.
310    Le public repart content, assourdi, les oreilles en coton. Il risque d'en garder
11 longtemps des souvenirs «plein la tête», Au propre comme au figuré. Car le bruit est un
12 plaisir dangereux. L'oreille s'use si l'on en abuse. Et la note risque d'être salée: le port
13 d'une prothèse auditive dès 40 ou 50 ans.
414    Or, depuis une dizaine d'années, la fréquence des troubles auditifs chez les
15 adolescents ne cesse d'augmenter. Des «accres» aux décibels de 25 ans présentent des
16 lésions¹ irréversibles comparables à celles détectées auparavant chez les personnes
17 exerçant les métiers les plus bruyants (dans la sidérurgie et le bätiment). Les spécialistes
18 s'inquiètent du vieillissement accéléré de ce sens si précieux. Il y aurait aujourd'hui, en
19 France, quatre millions de malentendants. Il pourrait yen avoir 15% de plus en l'an 2000.
520    Alors que les professionnels se protègent de mieux en mieux contre le bruit, les
21 jeunes s'exposent volontairement à des avalanches de décibels. Les baladeurs poussés à
22 fond et les sono superpuissantes des boîtes de nuit ou des concerts provoquent des d égäts
23 parfois irréparables. Après cinq heures passées dans une discothèque, une personne de
24 25 ans peut ressortir avec une audition de vieillard. Il faut alors dix heures de repos pour
25 compenser. Mais la récupération risque d'être de moins en moins complète si ces soirées se
26 multiplient. L'effet des décibels est cumulatif.
627    Quoi qu'il en soit, et contrairement à une idée trop répandue, on ne s'habitue pas au
28 bruit. Si, au bout de quelques heures passées en boîte, le niveau sonore semble plus
29 supportable, c'est tout simplement en raison de la fatigue auditive, de l'assourdissement.
30 Là, c'est réversible. Mais la multiplication des expositions au bruit provoque des lésions
31 qui évoluent de façon insidieuse. Les premières pertes auditives touchent les fréquences
32 élevées et passent donc inaperçues.
733    D'une façon générale, la surdité se manifeste d'abord dans une ambiance bruyante c'est
34 Ie «cocktail party syndrorne», qui peut gêner la compréhension - et puis dans le calme
35 si elle s'aggrave.Tout cela concourt à l'isolement du sourd. Il doit donc toujours être
36 attentif pour ne pas être «droppé». Il gêne son entourage et ille sait. Il fait souvent
37 répéter, ce qui est mis sur le compte de l'inattention, du manque d'intérêt. Quand on lui
38 répond en parlant fort, il sursaute et s'exclame: «Ne crie pas, je ne suis pas sourd. s Car,
39 avec la perte des cellules ciliées², le seuil de l'audition se rapproche de celui de la douleur.
40 Peu à peu, les échanges se limitent au strict minimum, ce qui contribue au sentiment
41 d'exclusion et au refermement sur lui-m êrne de celui qui souffre de ce problème. C'est
42 pourquoi il cherche à masquer le plus longtemps possible son handicap.
843    Entendre - est-il besoin de le dire - c'est recevoir une foule de renseignements qui
44 font la vie. C'est disposer d'un formidable radar. Attention, les jeunes usent
45 prématurément l'un de leurs cinq sens. Et à bon entendeur...

noot 1 la lésion = het letsel
noot 2 cellules ciliées = van randharen voorziene cellen

Anne Jeanblanc, dans «Le Point » dil 7 août 1993