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Raymond Depardon

Tekst 1 Raymond Depardon et l'appel du désert

Un entretien avec Raymond Depardon, reporter photographe et cinéaste

11    - Raymond Depardon, vous ête sirrésistiblement attiré par le désert. C'est dans les
2 sables de Djibouti et d'Agadès que vous avez campé vos deuxfilms defiction: «Une femme
3 en Afrique» et «La Captive du désert», D'oû vous vient cette fascination?
4 - Le désert a d'abord été pour moi synonyme de détresse. J'avais dix-huit ans; j'étais
5 journaliste dans une agence de presse àla mode; je n'avais «couvert» que les Conseils de
6 ministres et Ie Salon des Arts ménagers, lorsque jeme suis retrouvé au Sahara pendant la
7 guerre d'Algérie, à la recherche de militaires du contingent qui étaient partis chasser la
8 et qui n'étaient pas revenus! On a récupéré quatre cadavres et trois survivants, que gazelle
9 j'ai «mitraillés», sur le coup de l'émotion.
210    Un capitaine de la Légion est venu m'ordonner de lui donner mon film: on avait
11 annoncé aux familles que les soldats étaient morts d'insolation à leur poste de garde! Mais
12 j'avais déjà appris un truc: un vrai photographe ne lâche jamais sa pellicule. J'ai fait croire
13 que j'avais confié les clichés à quelqu'un qui les avait ramenés... et j'ai réussi huit jours
14 après à les expédier en métropole. Mon reportage aeules honneurs de Paris Match.
315    A mon retour,j'étais consacré. Et salarié. A partir dece moment-là, le désert m'a
16 porté chance. Même si j'ai toujours en tête cette image obsédante de ces gens mourant de
17 soif. Chaque fois que je suis allé faire un reportage au Sahara, je suis revenu riche de
18 documents.
419    -Le désert n'est-il pour vous qu'un emine à scoopst¹
20 - De symbole de détresse, il est devenu pour moi symbole de caresse. Un objet de
21 fascination. C'est un lieu d'une grande douceur, d'une grande paix. Peu à peu, je m'y suis
22 réappris moi-même. Au début, on arrive en touriste. Puis on trouve le temps long, on a
23 terriblement en vie d'une glace oude beurre frais.A la fin,on n'a plus en vie de rentrer.
24 On a intuitivement l'impression d'êtresur la terre première, celle de la naissance de
25 l'homme. Enchaîné au silence, au vent, pour le meilleur ou pour le pire, vous y voyez
26 incroyablement clair sur votre vie, sur le monde. Je me suis aperçu que le désert,
27 était ma chambre. Ma femme m'a fait remarquer que, dès que je pars là-bas, je finalement,
28 deviens coquet. Je vais chez le coiffeur, je veux être propre, je m'achète des vêtements
29 neufs,des chemises hors de prix, comme si j'avais rendez-vous avec une maîtresse.
530    -Et l'effroi des silences infinis?
31 - Pas d'effroi! Le silence,oui. C'est comme une immense oreille. On n'entend rien,
32 mais on a l'impression d'être soi-même écouté. Au Niger, j'ai passé trois mois dans une
33 ville abandonnée: très impressionnant! Aucun bruit. On baisse la voix d'instinct, comme si
34 rencontre avec des gens. Des gens on craignait les fantömes. Mais le désert, c'est aussi la
35 fantastiques. Qui me faseinent autant que le paysage, l'éblouissement des couleurs,et la
36 sensation extraordinaire de voir l'horizon.
637    -Vous avez pourtant la réputation d'être timide,...
38 - On n'imagine pas la pudeur des gens du désert. C'est quelque chose qu'on a du
39 malà photographier. Les images de famine, si fortes soient-elles, ne reflètent jamais
40 réellement la pudeur deces gens-là. Ils ne se plaignent jamais. Dans les montagnes du
41 on vous demande fréquemment: «Comment ça va avec la douleur?» Pour prendre Tibesti,
42 avec légèreté même les situations les plus désespérées. En fait, cette attitude m'a rappelé
43 mon enfance.
744    - Pourquoi?
45 - J'ai fini par comprendre que mon goût pour le désert prend ses racines dans mon
46 enfance rurale, au milieu des paysans dela vallée dela Saöne, Jesuis parti trop jeune, à
47 seize ans,de la ferme familiale, sans l'avoir photographiée. Si je retourne au désert, c'est
48 parce que j'y retrouve des gens comme étaient mes parents:prudents, économes,sachant
49 lire dans la nature des choses qui échappent aux citadins. Des gens un peu méfiants du sa
50 temps, des voisins, des institutions. Des indépendants, avec une grande force de caractère.
851    - Prochain départ?
52 - Imminent! Trop longtemps éloigné du désert, je deviens agressif!
953    -Etvotre prochain film?
54 - J'ai déjà derrière la tête l'idée de tourner encore là-bas. J'ai en vie d'adapter un
55 bouquin écrit par un vieux général, «Un homme sans l'Occident», Car le secret, c'est peut-
56 être ça: on s'ysent un peu moins Occidental. L'accoutumance au vide du désert sefait
57 lentement, après beaucoup d'humilité. Mais lors qu'on rentre en Europe, que l'on retrouve
58 cette société d'abondance, de remplissage, onse sent mal à l'aise. On a appris à n'être
59 tenté par rien. L'écrivain Valery Larbaud disait: «Apprenons à être seul pour a border la
60 paix plus calmernent.» C'est bien ce la. Il est temps d'apprendre la solitude


noot 1 un scoop = een (journalistieke) primeur

Jean-Luc Doun, dans «Télérama» du 26 décembre 1990