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Lustre perdu

Lustre perdu

11    C'est, désormais, un classique : au moment des grands départs en vacances, le trafic
2 aérien est perturbé par des mouvements de grève. Entre les aiguilleurs du ciel, les pilotes,
3 le personnel d'entretien, les bagagistes et, aujourd'hui, les électroniciens, l'ensemble des
4 salariés de l'aviation civile n'est jamais en panne d'imagination pour lever le pied.
25    Cette catégorie socio-professionnelle a incarné très longtemps une véritable
6 «aristocratie» dans notre univers salarial, mais il est indéniable qu 'elle n'a pas connu, ces
7 dernières années, une amélioration proportionnelle à l'image de marque qu'elle avait.
8 Elle a perdu de son lustre. Si l'on excepte les pilotes, qui restent, en France, très bien
9 payés, les techniciens de l'aviation civile ne sont plus des privilégiés parmi leurs pairs.
310    Ils s'en plaignent et adoptent des attitudes de plus en plus corporatistes. Conscients
11 de la nature particulière de leur rôle - la sécurité de millions de gens - , ils exercent une
12 sorte de chantage qui ne manque, certes, pas d'arguments, mais qui n'est plus adapté à
13 notre époque. La croissance du transport aérien a été exceptionnelle: en 1988, plus d'un
14 milliard de passagers, souvent les mêmes d'ailleurs, ont utilisé l'avion! Or, cette
15 «banalisation» du transport aérien induit, nécessairement, une «banalisation» des
16 professionnels de ce mode de transport.
417    Un exemple pour s'en convaincre: il y a seulement trente ans, l'hôtesse de l'air
18 représentait, pour la jeune fille, une sorte de mythe inaccessible. Ce temps-là est révolu.
19 Il est probable que la fonction de pilote elle-même, qui continue de nourrir l'imaginaire
20 de la jeunesse, tende également à se normaliser. Elle s'est déjà considérablement
21 robotisée.
522    D'aucuns redoutent cette évolution et annoncent une rapide dégradation de la
23 sécurité dans le trafic aérien. Ce n'est pas impossible qu'ils aient raison. Ce n'est pas
24 impossible, non plus, que les progrès technologiques contrarient ce risque.
625    Pour l'heure, la transition est difficile pour le personnel de l'aviation civile. Chez
26 nous, le recours à la grève est plus aisé que chez nos voisins. Nos deux plus grandes
27 compagnies aériennes sont nationalisées, et les sanctions de la justice contre les grévistes
28 ne vont jamais bien loin.
729    En 1993, avec le marché unique européen, la liberté d'établissement sera complète
30 pour les grandes compagnies étrangères. Il faut que nos pilotes et techniciens se
31 préparent à cette perspective. La grève est-elle le meilleur moyen?
832    Cela étant, la France n'est pas, pour autant, responsable du désordre aérien, comme
33 le répètent à l'envi nos amis anglo-saxons. Grève ou pas, les retards, à Londres comme à
34 Francfort, à Rome comme à Rio de Janeiro, à Paris comme à New York, deviennent la
35 règle et non pas l'exception.
936    Quand nos confrères du «Times» ironisent sur l'encombrement qui affecte Roissy,
37 Orly et Nice, durant les mois d'été, ne devraient-ils pas, d'abord, se demander pourquoi
38 les habitants de l'Europe du Nord préfèrent descendre sur la Côte d' Azur et la Riviera,
39 plutôt que de prendre un grand bol d'air frais sur les bords du Loch Ness?

Jean Bothorel, dans «Le Figaro» du 28 juillet 1989