1 | 1 | | Qu'une tête bien faite vaille un régiment de têtes trop pleines est une évidence |
| 2 | | depuis Montaigne. Pas pour tout le monde. Une majorité de chefs d'entreprise restent |
| 3 | | fascinés par les seuls techniciens et leurs diplômes remplis de mathématiques. Pour |
| 4 | | combien de temps? «Le manager de l'an 2000 sera davantage un homme de culture», |
| 5 | | affirme Jean-Paul Larçon, directeur d'une Haute Ecole Commerciale. «On ne se |
| 6 | | comporte pas de la même façon si l'on a lu Balzac, Proust ou Saint-Simon», explique-t-il. |
2 | 7 | | Une révolution éminemment culturelle. Du littéraire de formation, on loue |
| 8 | | désormais l'esprit de synthèse, la largeur de vues, après s'être moqué de son abondance |
| 9 | | de mots. Et les gestionnaires purs et durs sont priés d'aller soumettre leur culture |
| 10 | | générale à des séances de «lifting». Ce rééquilibrage de l'intelligence est une idée-force |
| 11 | | du rapport «éducation et société de demain», que l'économiste Jacques Lesourne vient |
| 12 | | de remettre au ministre de l'éducation. «Une authentique compétence, dit-il, suppose le |
| 13 | | mélange d'un savoir, d'un savoir-faire et d'un comportement autonome. Quant aux |
| 14 | | maths, elles constituent non pas une culture, mais une technique.» |
3 | 15 | | Un procès commence: celui de la division absolue entre grandes écoles |
| 16 | | techniciennes et universités vouées aux humanités. «Voilà trente ans que j'explique qu'un |
| 17 | | fort en thème vaut un fort en maths», se réjouit Charles-Pierre Guillebeau. Cet agrégé de |
| 18 | | philosophie créait, voilà vingt-deux ans, le Celsa (Institut des hautes études de |
| 19 | | l'information et de la communication), unique et solitaire effort universitaire pour |
| 20 | | préparer des littéraires aux métiers de l'entreprise: communication, relations sociales, |
| 21 | | marketing, publicité... Un succès. Le Celsa a, chaque année, 6.000 candidats pour 300 |
| 22 | | postes et place 90% de ses diplômés dans les trois mois. |
4 | 23 | | Le littéraire possède souvent un avantage élémentaire sur ses camarades |
| 24 | | scientifiques : il sait tout bêtement rédiger. «Pas négligeable, souligne Lionel Chouchan, |
| 25 | | patron de l'agence de communication Promo 2000. Si vous saviez à quel point notre |
| 26 | | métier patauge dans l'analphabétisme!» Seconde qualité: la capacité à appréhender |
| 27 | | globalement les problèmes de l'entreprise: «Entre un système d'organisation humain et |
| 28 | | un système philosophique, les règles sont voisines », soutient Nathalie Simonet, 28 ans, |
| 29 | | chargée de la coordination du service communication dans un cabinet immobilier. |
5 | 30 | | Une solide formation générale permet tout aussi bien d'accéder à des postes de |
| 31 | | décision. «J'ai autour de moi des littéraires gestionnaires de portefeuilles et opérateurs en |
| 32 | | Bourse, confie le directeur financier d'une grande institution publique. Comptent, |
| 33 | | d'abord, leurs qualités de logicien. Les calculettes et quelques rudiments d'algèbre font le |
| 34 | | reste ...» |
6 | 35 | | Qu'on ne s'y trompe pas. Dans leur écrasante majorité, les patrons hésitent à |
| 36 | | recruter des littéraires. Et, quand ils le font, c'est souvent au rabais: un normalien1 salarié |
| 37 | | à EDF2 est rémunéré comme un cadre venant d'une petite école d'ingénieurs. |
7 | 38 | | Mais elle est bien en marche, la révolution culturelle qui réhabilite les hommes de |
| 39 | | lettres face aux champions des maths sur le marché de l'emploi. Il était temps. Dans un |
| 40 | | monde où tout individu sera appelé à changer plusieurs fois de métier, la polyvalence est |
| 41 | | un atout indispensable. Pour se recycler, s'adapter, innover. Un supplément d'âme, non |
| 42 | | seulement distingué, mais rentable. |