Background image

terug

Le bruit est-il subjectif?

Le bruit est-il subjectif?

11    Je suis toujours étonnée, lorsque je participe à des réunions de travail sur le bruit,
2 ou que je lis les articles que d'éminentes personnalités y consacrent, de rencontrer
3 toujours les préalables et mises en garde de ce genre: «Le bruit est un phénomène
4 essentiellement subjectif ... Il est délicat d'apprécier objectivement l'existence de la gêne
5 La lutte contre le bruit, peut-être, mais attention : à partir de quel seuil?» etc.
6 -Manifestement, leurs auteurs ne sont pas concernés. S'ils l'étaient, ils ne
7 prendraient pas le bruit avec de telles pincettes.
28     Car peu importe le seuil, il y a gêne dès qu'il y a dénonciation. La subjectivité
9 n'intervient qu'au niveau du choix du bruit dénoncé. En fait quelqu'un qui ose se
10 plaindre, qui prend le risque de faire une démarche toujours coûteuse pour lui,
11 psychologiquement, socialement (on craint toujours les représailles), économiquement,
12 appelle au secours : il n'en peut plus. Pas forcément à cause du problème qu'il a choisi de
13 cibler. A cause de l'accumulation qu'il supporte, souvent inconsciemment, de bruits
14 gênants, pénibles, dont chacun pris isolément n'a pas forcément une intensité élevée,
15 mais qui, mis bout à bout, jour et nuit, deviennent intolérables jusqu'à la douleur
16 physique.
317     Elue de Seine-Saint-Denis, je ne suis pas présidente du Conseil national du bruit,
18 créé par le ministre de l'environnement en 1982, par hasard, ou par désir d'accumuler les
19 titres ronflants, La Seine-Saint-Denis, proche banlieue de Paris, inflige à ses habitants le
20 summum de ce qu'une grande ville peut sécréter comme pollution en tout genre, et en
21 particulier comme pollutions sonores: périphérique parisien, autoroutes, aéroports du
22 Bourget et de Roissy, liaisons hélicoptère Issy-Le Bourget et Orly-Roissy, sillonnent de
23 part en part des «cités radieuses» dont les logements sont construits de telle sorte que
24 tous devraient être insonorisés aujourd'hui si l'on prenait en compte le «seuil» de
25 décibels acceptable par la réglementation. Ajoutons que rien n'a été prévu dans ces cités
26 pour permettre aux enfants et aux jeunes de jouer ou de se distraire: ils sont donc réduits
27 à investir les cages d'escalier, les caves ou les parkings. Les adultes qui travaillent et
28 rentrent épuisés, les personnes âgées ou les malades qui cherchent le repos et la
29 tranquillité ne le supportent pas.
430     Vous n'aurez pas ce genre de problèmes à Neuilly-sur-Seine ou dans le seizième
31 arrondissement de Paris. Vous les trouvez dans les banlieues où l'on a rejeté ceux qui
32 n'ont pas les moyens d'habiter en centre-ville.
533    Ne no us étonnons pas si la question du bruit est si sensible dans l'opinion et
34 déchaîne tant de passion et de violence. Les bruits sur le lieu de travail, les bruits liés au
35 logement, au quartier, les bruits dus aux moyens de transport, qui s'accumulent dans la
36 journée et la nuit d'une même personne, témoignent d'inégalités sociales qu'ils
37 contribuent à renforcer.
638    Faire prendre en compte ce problème par la collectivité nationale, au même titre
39 par exemple que les économies d'énergie, demeure une oeuvre de salubrité publique et de
40 justice sociale, à laquelle un gouvernement de gauche ne peut être indifférent.

«Le Monde», juillet 1983