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Seule chance de survie: L'Europe à deux vitesses

Seule chance de survie: L'Europe à deux vitesses

11    Le 25 mars 1957 était signé, dans la grande salie d'apparat de la mairie de Rome, le
2 traité du même nom. Cette date est devenue dès l'abord hautement symbolique et tend,
3 après l'effacement relatif des Communautés du charbon, de l'acier et de l'énergie
4 atomique, à polariser en elle tout le potentiel d'espoir de la construction européenne.
25    Il faut remonter à l'époque pour en comprendre la dynamique et la portée. Le rejet
6 de la CED (Communauté européenne de défense) par l'assemblée nationale française
7 avait porté un coup très dur au grand dessein de l'unité de l'Europe, au point que, pour
8 beaucoup, l'espoir même en était perdu.
39    C'est pourtant à ce moment que fut relancée l'entreprise par la voie plus sage et
10 plus lente de l'économie. La rapidité même avec laquelle fut négocié et ratifié le traité
11 atteste la conviction et l'ardeur des protagonistes. Les débuts furent prometteurs: la haute
12 conjoncture économique mondiale facilita la mise en place de l'union douanière. La
13 politique agricole vit le jour sans trop de drames. De nouveaux pays venaient frapper à
14 notre porte pour adhérer à notre Communauté au risque - mal calculé - de l'affaiblir.
415    La réconciliation franco-allemande semblait solidement scellée, et l'entente
16 privilégiée entre les deux pays jouait avec bonheur son rôle d'impulsion et d'inspiration.
17 Les institutions se mettaient en place et assumaient leur rôle. Bref, une nouvelle chance
18 semblait offerte à nos vieux pays de se grouper en un ensemble puissant, dynamique,
19 respecté.
520    Et cependant des signes d'inquiétude ne manquaient pas de se faire jour. Peu à
21 peu, les souverainetés nationales reprenaient le dessus. Chacun cherchait à tirer son
22 épingle du jeu au cours de longs marchandages peu exaltants, et non à privilégier l'intérêt
23 communautaire. Les organes supranationaux - Commission, Parlement - perdaient
24 prestige et autorité. L'opinion, favorable dans ses profondeurs à cette grande révolution,
25 devenait lasse, sceptique, désabusée. Le mot 'Europe', repris par tous dans des sens
26 différents, était chargé d'équivoque.
627    La crise des années soixante-dix accentua le déchaînement suicidaire des égoïsmes
28 sacrés au lieu de pousser à la recherche de solutions communes. Il faudrait aujourd'hui
29 une force politique prodigieuse pour remédier à cette situation. On ne la décèle nulle
30 part.
731    Le bilan est singulièrement sombre: institutions lourdes et impuissantes, écho
32 affaibli de la voix de l'Europe dans le monde, aussi bien sur le plan économique que sur
33 le plan politique. Les rencontres au sommet se déroulent en notre absence, et nous ne
34 saurions le reprocher à personne.
835    Certes, tout n'est pas négatif dans tout cela. Mais la toile de fond reste
36 particulièrement sombre. L'Europe n'avance plus. Sa dispersion géographique, des îles
37 Shetland jusqu'à Rhodes, ses disparités sociologiques et économiques sont autant de
38 handicaps.
939    Le moment est venu d'un tour de table lucide et courageux : que le petit noyau de
40 ceux qui veulent aller plus vite et plus loin dans tous les domaines - économique,
41 monétaire, politique, militaire et institutionnel - s'engage à nouveau sur la voie de
42 l'intégration. Le redressement est à ce prix. Et le reste nous sera donné par surcroît.
 

Maurice Faure, ancien Ministre, dans «Le Point». mars 1987