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Trahir ou ne pas traduire, là est la question

Trahir ou ne pas traduire, là est la question

 Il est le traître de la littérature, celui qui s’avance   50 une fois pour toutes depuis la parution
 masqué et, sous prétexte de leur rendre des neuf volumes de l’édition dite de Cambridge publiés en
 hommage, s’approprie les plus grandes oeuvres 1866. Il est vrai que jusque-là la situation était un peu
 pour leur faire subir toutes sortes d’outrages6). floue. Les différentes versions
5 Sa compétence n’est pas forcément en cause 
 mais, par la nature même de sa fonction, le traducteur 
 trahit presque fatalement. L’esprit d’une langue 
 ne peut être rendu dans une autre que par toutes 
 sortes d’approximations nécessairement décevantes. 
10 On peut aussi le qualifier de menteur parce qu’il 
 doit bien cacher les difficultés auxquelles il se heurte 
 sous des artifices qui peuvent aller de la défiguration 
 légère du sens jusqu’aux inventions les plus fantaisistes. 
 Quand les éditions Phébus entreprirent de retraduire 
15 l’intégrale des contes et récits d’Hoffmann, on 
 ne disposait que de deux traductions datant des 
 années 1820, dont l’une, établie par un ami de55 imprimées des pièces diffèrent sensiblement. Pour
 Nerval7), Loève Weimars, avait été sensiblement écourtée. s’en tenir au seul monologue de Hamlet, deux inquarto
 Tous les monologues intérieurs, qui apparaissent conservés à la British Library de Londres en
20 aujourd’hui comme la part la plus moderne donnent les versions suivantes: «To be, or not to be.
 et la plus intéressante de l’auteur, avaient manifestement I, here’s the point! To die, to sleepe, is that all», pour
 paru ennuyeux au traducteur, qui les avait60 celle de 1603, et «To be or not to be, that is the
 tout simplement supprimés. Qu’ils fassent seulement question, Wether tis nobler in the mind to suffer», en
 quelques lignes ou plusieurs feuillets, il les avait 1604. On comprend que les traducteurs se soient
25 systématiquement remplacés par une seule et même livrés à des interprétations personnelles, influencés
 formule: «Et il murmura quelques propos incompréhensibles. en outre par le goût de l’époque.
 »65 Le cas de Voltaire est intéressant non seulement
 La notion de fidélité au texte original est relativement parce qu’il fut le premier traducteur de ce fameux
 récente. Au 18e siècle, un traducteur de monologue, mais parce qu’il en donna deux versions
30 Shakespeare pouvait encore se vanter dans sa préface, pratiquement opposées. La première, présentée en
 comme d’un argument en faveur de son travail, 1734 dans ses Lettres philosophiques, commence
 de «ne point entendre l’anglais». Le traducteur réputé70 ainsi: «Demeure; il faut choisir, et passer à l’instant.
 Jean Guiloineau rappelle qu’à la fin du 19e siècle, De la vie à la mort et de l’être au néant.» «Ne croyez
 lorsque les étudiants chinois vinrent en grand nombre pas que j’aie rendu ici l’anglais mot pour mot,
35 dans les universités japonaises, ils entreprirent précise Voltaire, malheur aux faiseurs de traductions
 de traduire la littérature mondiale qu’ils y découvraient littérales, qui en traduisant chaque parole
 pour la première fois. Mais, soucieux de rattraper75 affaiblissent le sens! C’est bien là qu’on peut dire
 un important retard, ils réécrivirent tout Flaubert que la lettre tue et que l’esprit vivifie.» Mais au
 ou tout Dostoïevski, en respectant plus ou moins passage, Voltaire prend de très sérieuses libertés en
40 et la langue et les intrigues… à partir de traductions faisant disparaître complètement les références au
 japonaises. rêve et en introduisant des allusions de son
 Une difficulté particulière tient à l’établissement du80 invention propre sur l’hypocrisie des prêtres et la
 texte original. En préfaçant la traduction de Shakespeare timidité des chrétiens. Une trentaine d’années plus
 réalisée par son fils François-Victor, Victor tard, dans L’appel à toutes les nations de l’Europe, il
45 Hugo ne craignait pas d’écrire: «Le traducteur actuel donne une seconde version du même passage,
 sera le traducteur définitif.» Il s’appuyait certes sur nettement plus fidèle et qui commence ainsi: «Être
 les qualités du travail de François-Victor, mais aussi85 ou n’être pas, c’est là la question…»
 sur le fait que le texte du théâtre d’après Gérard Meudal, dans «Le Monde de
 de Shakespeare semblait établi

un outrage = een grove belediging
Nerval (Gérard de): Frans dichter, 1808-1855