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Que reste-t-il de Mai 68?

Que reste-t-il de Mai 68?

1    Que reste-t-il de Mai 68? L’ombre    Bendit, Krivine, Geismar, Sauvageot parlaient au nom des
 des barricades clôturant le Quartier latin,55 étudiants, des travailleurs en grève. La place des femmes
 le souvenir des yeux qui piquent était sous-entendue, bien sûr. Pas entendue.
 sous les lacrymogènes10), l’université 
5 occupée et la France paralysée par la 
 grève générale. Ce qui reste par-dessus 
 tout c’est une manière d’être et de parler 
 aux autres - sans chichis11), la certitude 
 que rien n’est jamais immuable, 
10 surtout pas le pouvoir, c’est la possibilité 
 de croire encore que, sous les pavés, 
 la plage nous attend… 
2    Assurément, un air de liberté souffla 
 sur ce printemps-là. Les femmes découvrirent 
15 qu’elles avaient le droit de 
 parler haut et fort, de descendre sans 
 honte dans la rue pour dire non à une 
 société qui semblait, au fond, les ignorer.4    Pourtant, Mai 68 fut, pour les femmes, une bouffée
 Sur le Boulevard Saint-Michel, les d’espoir. C’étaient les premiers pas de celles qui défileraient
20 étudiants abattaient des arbres pour barrer la route aux60 quelque temps plus tard aux slogans de «Un
 policiers. Les filles de 68, elles, coupaient le cordon qui les enfant si je veux quand je veux», «A travail égal salaire
 reliait à la sacro-sainte famille, rompant avec l’image de égal»… Sur les photos de Mai 68, les femmes se
 leurs mères, gardiennes du foyer, obéissantes épouses. En transforment en colleuses d’affiches, défilent aussi en
 foulant les pavés de ce mois de mai, elles ont fait respirer tête de cortège, comme porte-étendard d’un drapeau
25 toute une génération, défié les tabous et ouvert la porte65 rouge ou noir. Certaines sont malmenées par des CRS
 à leurs futures filles… coléreux, d’autres sont transportées sur un brancard.
3    C’était vingt ans après le cataclysme de la Seconde Pourtant, dans l’inconscient collectif, les barricades, ce
 Guerre mondiale: au moment d’entrer dans l’univers des sont les petits frères de Gavroche13) qui les tiennent, pas
 adultes, la génération du baby-boom contestait les val- les petites soeurs de Cosette13)…
30 eurs du «vieux monde». Dénonçant «L’Etat-patron», re-570    Trente ans plus tard, l’heure est aux bilans. Mai 68 fut
 vendiquant «l’abolition de l’aliénation», cette jeunesse un rêve magnifique, un superbe élan du coeur, une folle
 avait soif d’une parole libre, d’une action libre, d’une sex- illusion aussi. A-t-il changé la face de notre monde? Sans
 ualité libre aussi. Le Flower power leur apportait d’ailleurs conteste. Bien sûr, la situation est radicalement différente
 un message clair: «Faites l’amour, pas la guerre.» La - crise économique et sida obligent. Les femmes sont
35 mode incitait à la provocation avec ses minijupes et, en ce75 touchées de plein fouet par la plaie du chômage.Mais les
 beau mois de mai, les filles étaient juchées sur les épaules lendemains ont quand même chanté14) pour elles: le re-
 des garçons. Pour quelques associations bien-pensantes, maniement du code civil (1970), donc la reconnaissance
 -Mai 68, c’était la licence sexuelle. Danger national, péril de nouveaux droits aux femmes, la maîtrise de la contraception
 mortel. Et la pilule? Un fléau. Les filles, elles, revendi- acquise grâce aux décrets d’application de la loi
40 quaient le droit de prendre enfin en main leur destin.80 Neuwirth (1973), la création d’un secrétariat d’Etat à la
 Mai 68 a surgi dans une époque aveugle et sourde, qui au- Condition féminine (1974), la loi Veil sur l’avortement
 rait aimé que sa jeunesse fût muette. Les femmes voulaient (1975)… Et toutes ces petites révolutions qui paraissent
 changer tout cela… Sans préméditation, aujourd’hui peu importantes aux yeux des gamines de 20
 elles ont saisi l’occasion de défiler main dans la main avec ans: le port du pantalon autorisé pour les filles dans les
45 les garçons. Mais l’anonymat est85 écoles, la généralisation du jean unisexe, la mixité des
 resté sur elles. Elles dactylographiaient classes, une mode ouverte à toutes les excentricités… Et
 les tracts, les reproduisaient, les collaient sur les murs. Elles surtout, la possibilité d’être à contre-courant, anticonfor-
 beurraient aussi les sandwichs, pour que les troupes ne tombent miste, de le dire et de le montrer. Sans crainte. La parole
 pas de faim, et organisaient des crèches dans les salles de cours s’est libérée, la rue a bougé, les femmes aussi…
50 occupées en veillant sur les bambins des aînées. Comme lors90 noot 14 des lendemains qui chantent: un avenir heureux
 de tous les conflits, les femmes assuraient l’intendance12)… Les 
 leaders, ceux qui avaient la parole, jusque devant les Marcia Maalox, dans «La Provence Femina»
 caméras des journalistes, c’étaient des hommes: Cohn- du 2 mai 1998

une lacrymogène = een traangasbom
le chichi = de poeha, de kapsones
l’intendance = de materiële voorzieningen
Gavroche en Cosette: personages uit de roman Les Misérables van Victor Hugo (1802-1885). Gavroche is het prototype geworden van de vrijheidsbeluste Parijse “kwajongen”. Cosette is het symbool geworden van een zwak en onschuldig meisje.
des lendemains qui chantent: un avenir heureux