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Dominique Wolton, voyage au village global

Dominique Wolton

Voyage au village global

Dominique Wolton est directeur de recherche au CNRS1) et spécialiste
incontesté des médias. Son dernier ouvrage, c’est l’Autre Mondialisation.




Entretien



1    L’Express -Ce qui caractérise le plus le    communiquer, plus nous avons besoin de nous
 changement de notre société depuis65 rencontrer. On peut négocier à distance avec
 cinquante ans, c’est assurément la une multinationale de Hongkong, mais il faut
 mondialisation. Grâce aux nouveaux outils quand même se déplacer et sacrifier à un
5 de communication, le monde nous apparaît épuisant protocole afin de signer le contrat:
 maintenant tout petit. parler, bavarder, manger ensemble. C’est dans
 Dominique Wolton - La mondialisation70 ces moments «perdus» que se joue l’essentiel
 s’est réalisée en trois étapes: la première, avec de l’expérience humaine.
 la création de l’Organisation des Nations4    Il y a peut-être une exception: le
10 Unies, à la fin de la Seconde Guerre téléphone portable, qui permet quand
 mondiale; la deuxième, avec l’ouverture des même aux individus de ne plus être seuls,
 frontières et le libre marché. Nous en sommes75 quel que soit le lieu où ils se trouvent.
 aujourd’hui à la troisième étape: celle de Vous avez raison. Le téléphone portable
 l’information et de la culture. En un demi est un outil de relations humaines, car il a
15 siècle, le progrès des techniques - téléphone, deux atouts: la voix et la mobilité. Deux êtres
 radio, télévision, ordinateur, Internet - a été humains se parlent, où qu’ils soient. Et la
 énorme. Avec la généralisation des voyages,80 première question qu’ils se posent, c’est: «Où
 le développement des réseaux, la planète est es-tu?» S’il y a un mot qui caractérise la
 en effet devenue toute petite, comme vous modernité, c’est la mobilité. Quant à la voix,
20 dites. Mais attention! Ces avancées elle reste l’expression par excellence de
 techniques ne sont pas forcément des facteurs l’émotion. C’est d’ailleurs la première chose
 de progrès ou d’émancipation, le monde ne85 que l’être humain perçoit à sa naissance. La
 s’est pas pour autant changé en un voix, c’est le véhicule de l’amour. Y a-t-il
 gigantesque village, comme on voudrait nous quelque part quelqu’un qui m’entend, qui me
25 le faire croire. parle, qui m’aime? On cherche la voix
2    Pas de village global, comme on humaine jusqu’au terme de sa vie: on veut
 l’annonçait dans les années 1960?90 mourir avec, autour de soi, les êtres qui nous
 L’idée que nous serions tous devenus des parlent.
 citoyens du monde, baignant dans une même5    Si l’on vous comprend bien, la
30 culture globale, est un mythe. Certes, on peut communication de masse, la télévision
 aujourd’hui envoyer un son, une image, une notamment, ne développerait pas une
 information, dans n’importe quelle partie du95 culture globale, contrairement à ce que l’on
 globe. On voit tout, on sait tout. Il n’y a plus dit souvent?
 d’ailleurs. L’autre, autrefois éloigné, est Analysant l’impact de la radio sur le
35 devenu un voisin. Mais on ne le comprend pas développement du fascisme en Italie et en
 mieux pour autant. Au contraire: les inégalités Allemagne dans les années 1920 et 1930,
 sont plus visibles, les différences de point de100 certains intellectuels en ont conclu qu’un
 vue aussi. Plus les distances physiques même message envoyé à des millions de gens
 disparaissent, plus les distances culturelles se conduisait à une pensée standardisée, et donc
40 révèlent. Le 11 septembre 2001, l’Occident a à une forme de domination. Et bien non!
 brutalement réalisé que nombre de pays ne Chaque individu reçoit le message d’une
 partageaient pas ses valeurs, celles de la105 manière différente, selon sa propre
 démocratie et que, plus ces pays avaient accès personnalité. Les Américains, qui règnent sur
 au marché mondial de l’information, plus ils les industries culturelles de la communication,
45 affirmaient leur différence, voire leur croient que le monde entier pense comme eux.
 hostilité. Ainsi plus les médias américains C’est faux. Leur vision du monde n’est pas
 diffusent d’informations, plus ils nourrissent110 partagée en Amérique latine, ni en Afrique, ni
 l’antiaméricanisme. Si le village global existe, en Asie. Il n’y a pas d’information
 ce n’est pas une libération. C’est une nouvelle universelle. L’Union soviétique et le tiersmonde
50 contrainte. nous l’avaient dit en 1980: «Ce que
3    Il y a une limite à la compression du vous qualifiez d’information mondiale, ce
 monde?115 n’est que votre modèle à vous, Occidentaux;
 En effet. L’interaction immédiate que nous vous faites de l’impérialisme culturel.» Nous
 pouvons nouer avec le monde entier n’est que avons rejeté l’objection, mais elle était juste.
55 virtuelle: au bout des machines, il y a des Nous, Occidentaux, nous produisons 80% de
 hommes. Dans la vie réelle, nous sommes l’information déversée dans le monde. Nous
 confrontés à une autre dimension: celle du120 ne consommons rien, ou presque, de ce qui
 corps, de la physique, de l’expérience. Pour vient du Sud. La mondialisation, ce n’est pas
 être relié à de vrais êtres humains, il faut un idéal. Et un grand marché sans frontières,
60 investir dans la durée, il faut voyager. S’il y a ce n’est pas une démocratie.
 une leçon à tirer des recherches de ces 
 cinquante dernières années, c’est bien celleci: «L’Express»
 plus nous disposons d’outils pour


CNRS: Centre national de la recherche scientifique