(1) C’est l’histoire d’un homme qui a | | dormi depuis quarante-huit heures, |
perdu ses bras et ses jambes. Il a un | | enchaînant les plateaux télé et les |
rêve. Traverser la Manche à la nage. | | interviews : « Je vis des moments |
Tout le monde le prend pour un fou. | | exceptionnels. Et finalement, c’est |
Lui seul y croit. L’idée germe en lui | | grâce à mon handicap. » |
pendant des années. Et puis, il y a | | (3) Philippe avait 26 ans quand c’est |
deux ans, jour pour jour, il s’y met. | | arrivé. Ouvrier métallurgiste, il vit |
« Au début, je n’arrivais même pas à | | heureux en famille avec son petit |
faire une longueur de bassin. » | | garçon de 6 ans, Jérémy. Sa femme |
Entraînement intensif, piscine de 9h | | est enceinte du deuxième. Ce jour de |
à 18h, bain d’eau rempli de glaçons | | mars, 1994, Philippe est sur le toit, à |
pour s’habituer au froid, séances de | | démonter une antenne électrique. Il |
nage dans le lac en plein hiver, puis | | se prend deux décharges électriques |
en mer, et cetera. Le samedi 18 | | de 20 000 et 3000 volts. Son corps |
septembre, Philippe Croizon, 42 ans, | | devient une torche humaine. A |
polyhandicapé, a traversé la Manche | | l’hôpital, on le croit mort. Pour le |
en treize heures. Harnaché de deux | | sauver, les médecins l’amputent des |
prothèses de jambes, il a combattu | | quatre membres. Un ami lui dit qu’il |
les vagues inlassablement. Ce qui | | faut qu’il se batte. Et là, c’est le |
reste de ses deux bras amputés lui | | déclic. « Je n’avais plus qu’une |
permettait de maintenir son équilibre | | obsession, m’en sortir. » |
dans l’eau. Un tube à la bouche | | (4) Dans le centre de rééducation, sa |
injectait de la nourriture toutes les | | rage laisse les médecins et les ergo- |
vingt minutes. Une bouillie liquide | | thérapeutes bouche bée. Il veut |
très sucrée, pour recharger les | | marcher grâce à ses prothèses avant |
muscles. | | le premier anniversaire de son fils |
(2) Philippe n’aime pas trop qu’on | | Grégory, né deux mois après l’acci- |
parle d’« exploit ». Il ne se reconnaît | | dent.Apprendre à conduire, grâce à |
pas dans toute cette litanie de clichés | | une voiture équipée pour son handi- |
sur sa « volonté surhumaine ». « Je | | cap.Enfin, refaire de la plongée. |
ne suis pas un surhomme. Je craque. | | « Quand je me suis remis dans l’eau, |
Je pleure. La Manche ? C’était un | | la première fois, j’ai coulé. Mais une |
objectif, voilà tout. C’est comme ça | | fois que j’ai apprivoisé les prothèses, |
que je fonctionne. Me fixer des | | c’était un bonheur fou, je me sentais |
objectifs, c’est ça qui m’a permis de | | enfin de nouveau libre. » |
survivre. » Philippe Croizon n’a pas | | |