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Moi, Sylvain, cuistot au fast-food

A l’automne dernier, l’un de nos collaborateurs, appelé Sylvain, a travaillé trois semaines dans un établissement parisien de restauration rapide. Voici son histoire.



1    Le soir, depuis l’avenue, les néons    pour Jimmy, je suis un «vieux». Et
 du fast-food dégagent une lumière puis, il y a Victor, futur géographe,
 chaleureuse, presque réconfortante.50 qui pense tous les jours à son chèque.
 En cuisine, l’ambiance est [id:96222] Il passe ses soirées au fast-food pour
5 conviviale. «Plus vite, Sylvain! Tu fais payer son logement. Ici, le stress
 des burgers, pas des oeuvres d’art…» colle à la peau, bien plus que les
 Nathalie, la manageuse, n’a pas pitié odeurs de friture. De retour chez moi,
 de nous. Derrière mon comptoir, je55 je n’arrive pas à trouver le sommeil,
 dois préparer environ 180 sandwichs tant les alarmes des micro-ondes et
10 par heure pour faire face à la des toasters retentissent dans ma
 demande et le double aux heures de tête. Aussi déséquilibré que Chaplin
 pointe. Dans cette enseigne de res- dans Les Temps modernes, il
 tauration rapide stratégiquement60 m’arrive de répéter la fatigante
 située au carrefour de plusieurs gestuelle, dans un demi-sommeil.
15 lycées parisiens, les jeunes défilent Chauffer les pains. Griller les steaks.
 toute la journée. Ils y engloutissent Saucer. Empaqueter.
 leur argent de poche.4    Je m’aperçois que de tous les
2    J’ai postulé le 6 octobre dernier65 clients les plus jeunes sont souvent
 et décroché un entretien l’après-midi les moins aimables: ils veulent tout,
20 même. Karim me reçoit à l’étage, au tout de suite. Dans la file, ils
 beau milieu des clients, avec Rémi et montrent leur impatience, certains
 Hassan. Le premier est un jeune allant même jusqu’à réclamer des
 Marseillais de 18 ans fraîchement70 burgers gratis en dédommagement
 débarqué dans la capitale. Le second, du temps d’attente. La pression est
25 Hassan, 38 ans, Marocain, vient constante. J’ai tout de même trouvé
 d’arriver à Paris lui aussi. Le fast- un truc pour rompre la cadence
 food est l’un des derniers endroits en infernale: je me bats pour m’occuper
 France encore capables d’offrir un75 des poubelles. Malgré le froid et la
 gagne-pain temporaire. Peu commu- moisissure, la cave fait presque l’effet
30 nicatif, Karim ne se penche pas sur d’une cour de récréation.
 nos CV, tout ce qui l’intéresse, [id:96223] .5    Je reçois enfin mon premier com-
 Nous sommes prêts à venir tous les pliment… le jour de ma démission,
 jours, sans la moindre contrainte80 après trois semaines de travail dur.
 horaire? Embauchés! Il faut com- «Tu es sûr que tu ne veux pas rester
35 mencer demain. Comme la plupart encore un peu avec nous?», tente
 des salariés ne restent que le temps Karim. Raté. Je veux m’en aller le
 d’une année d’études, les offres plus vite possible. A mon départ
 d’emploi abondent à chaque rentrée85 j’interroge un jeune avec lequel je
 d’automne. n’ai encore jamais travaillé. «Et toi,
340    Je ne reverrai quasiment pas mes tu es là depuis combien de temps?»
 deux compères du premier jour, Rémi Le gars me tend ses deux mains,
 et Hassan. Eux travaillent l’après- couvertes de brûlures. «Tu les vois,
 midi et moi le soir, parfois sept jours90 mes blessures de guerre? Je suis là
 de suite. Je suis brièvement formé depuis bien longtemps, mec… Trop
45 par Jimmy, une jeune tête brûlée longtemps.»
 venu du Val-de-Marne et fâché très 
 tôt avec l’école. J’ai 25 ans, mais, L’Express, février 2011