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«Sauver la mer: un impératif humanitaire»

«Sauver la mer: un impératif humanitaire»

Interview avec le cinéaste Jacques Perrin, qui tourne Océans, un témoignage
unique sur la fragile beauté d’un monde en voie de disparition.


    3    Comment freiner le phénomène?
 La politique des quotas est la voie
 la plus sûre pour ne pas épuiser les
45 stocks de poissons, alors imposons-la à
 tous. Ensuite, prenons des dispositions
 en faveur des pêcheurs qui seront les
 plus touchés, comme nous avons su le
 faire il y a quelques années pour les
50 agriculteurs. Par exemple, au Canada,
 les pêcheurs de morue ont été
 désarmés, leurs bateaux rachetés, et ils
 reçoivent des indemnités. Qu’est-ce qui
 nous empêche d’en faire autant? Et
 55 puis, écoutons les scientifiques. Ils
  savent, par exemple, où se
1    L’Express: Vous courez les reproduisent les espèces, le plus
 océans du globe depuis plusieurs souvent près des côtes. A eux de définir
 années. Quelle histoire intime des aires sanctuaires, interdites aux
 entretenez-vous avec la mer?60 pêcheurs.
5 Jacques Perrin: J’avais 12 ans4    N’a-t-on pas trop tardé à donner
 quand je l’ai vue pour la première fois. l’alarme?
 Sur la plage, chaque rocher, chaque Cousteau disait dans les années
 caillou cachait d’énormes crabes. La 1960 qu’il n’y aurait plus de poisson en
 mer, on la sentait palpiter. On la65 Méditerranée vingt ans plus tard. On
10 regardait, toute vivante. Pas seulement l’a raillé pour cela, mais il se trompait
 comme une belle peinture: ça grouillait, seulement de quelques décennies. C’est
 là-dessous. Dans les années 1960, désormais une question d’années. En
 j’ai vu l’arrivée du sonar, rapporté par une génération, une vie d’homme, nous
 les pêcheurs africains. Tout d’un coup,70 sommes arrivés à ce résultat dramatique.
15 on pouvait lire l’invisible des profondeurs. On croyait la mer indomptable,
 Très vite, tout le monde a eu inépuisable: elle se révèle fragile et
 recours à cette technique. Parfois, on vulnérable. Il faut la regarder avec
 utilisait aussi un peu de dynamite. A conscience, ne plus se contenter de
 l’époque, la mer semblait inépuisable.75 s’adresser aux générations futures.
220    Depuis, vous n’avez pas cessé Nous sommes les générations futures!
 de parcourir les mers. Quel constat Le moment de la sensibilisation est
 faites-vous aujourd’hui? passé. Fini de donner des leçons aux
 On ne peut plus se contenter de enfants: c’est aux adultes qu’il faut
 répéter sans cesse que les océans sont80 mettre des claques!
25 malades: ils sont quasi condamnés.5    C’est l’objet de votre film
 Une étude publiée récemment dans la Océans?
 revue Science prévient que, au rythme Je n’ai pas l’intention de dire ce
 où nous les exploitons, l’essentiel de la qu’il faudrait faire. Je veux simplement
 vie marine aurait disparu en 2048.85 toucher les gens. Accrocher leur attention
30 C’est vrai. Les poissons, n’importe et leur mémoire avec de l’émotion.
 lesquels, les thons, les sardines… tous Il faut qu’on ressorte de ce film en se
 sont menacés. [id:69198] les étals des pois- disant qu’on ne peut pas laisser faire,
 sonniers sont pleins de marchandises, qu’on ne doit pas se résoudre à la
 comme si de rien n’était. Comme si90 disparition de toutes ces espèces. De
35 tout allait bien. Sauf que ces poissons toute cette richesse, dont on ignore
 ne viennent plus de nos côtes, comme encore l’essentiel. Aujourd’hui, nous
 autrefois. Ils ne sont plus le fruit d’une vivons l’instant déterminant où il faut
 pêche traditionnelle, artisanale, mais vraiment faire quelque chose. Sauver
 le fait d’un nettoyage méthodique,95 l’océan est un impératif humanitaire.
40 commis par une industrie. Quel La mer n’est pas un jardin d’abondance
 épouvantable gaspillage! dans lequel on peut puiser sans fin.