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Les «comtesses» du call center

Les «comtesses» du call center

A la centrale de Rennes, douze détenues travaillent pour une société de télémarketing. Une première en France.

    aux insultes, c’est valorisant. En
 prison, même un client qui est de
55 mauvaise humeur vous change les
 idées.
4    Comme ses collègues, Hélène a son
 lot de dragueurs. «Disons que ça pince
 le coeur mais ça fait plaisir. Ils parlent
60 à une femme, pas à une prisonnière.»
 Evidemment, elle décline toute
 invitation. «On ne peut pas répondre:
 “Désolée, je suis en prison, sinon ça
1    «Vous avez une voix superbe.» aurait été avec plaisir!” Dans ces
 Hélène sourit. Au bout du fil, l’inconnu65 moments-là, on se dit, mon Dieu, si les
 sort le grand jeu. «Si vous êtes à Paris, clients savaient à qui ils parlent. On en
 je vous invite à dîner. Vous êtes libre plaisante souvent entre nous.» Les
5 ce soir?» Non, Hélène est en prison. A soupirants doivent attendre long-
 Rennes. En dehors des permissions de temps: elle ne sortira pas encore. A la
 sortie, cette quadragénaire passe ses70 voir, difficile d’imaginer qu’elle a
 soirées dans un endroit de 7 mètres commis un crime. Petite et menue,
 carrés. A 19h30, elle est enfermée dans c’est Madame Tout-le-Monde.
10 sa cellule. Couchée tôt, levée aux5    Par sécurité, les détenues n’ont pas
 aurores, une vie de nonne. Le décor s’y accès aux fichiers clients, un ordina-
 prête, la prison est installée dans un75 teur lance automatiquement les appels.
 monastère du XIXe siècle. Mais le Et leurs missions excluent toute
 vieux monument abrite une entreprise transaction monétaire. Pour le reste,
15 high-tech: un centre d’appels. Trente- elles ont les mêmes objectifs que les
 cinq heures par semaine, elle y autres salariés, sont écoutées, notées.
 démarche des clients avec son accent80 Et les téléopératrices de Rennes sont
 du Midi. plus performantes que la téléopératrice
2    Hélène fait partie des douze moyenne. «Elles sont plus motivées,
20 détenues salariées par Webhelp, une dit leur superviseuse Karine. L’enjeu
 société de télémarketing qui sous- est plus grand, l’échec plus mal vécu.
 traite pour les plus grosses entreprises85 J’ai déjà managé des équipes, mais
 françaises. Pour les clients, les prison- travailler ici est incomparable. Parce
 nières s’appellent Hélène, Laurence, qu’il y a l’idée d’une deuxième chance.
25 Chloé, Carla ou Marlène… De faux Malgré ce qu’elles ont fait, elles sont
 prénoms, en hommage à une parente, à terriblement humaines.»
 une vedette de ciné ou choisis au690    A Rennes, les téléopératrices ont
 hasard sur un calendrier. Evidemment, été surnommées «les comtesses» par
 toute l’équipe a un casier: trafic de des codétenues envieuses. En prison,
30 drogues, vols, meurtres… Elles sont là téléphoner est un luxe. Les portables
 pour préparer l’avenir. On leur a sont interdits, il faut appeler depuis
 demandé quelles étaient leurs qualités,95 une cabine à certaines heures. Surtout,
 leur motivation, leur niveau d’études, c’est le job le mieux payé: 6 euros
 leur expérience professionnelle… Elles l’heure. «Avant, j’assemblais les uni-
35 sont des employées comme les autres. formes des surveillants à l’atelier de
 Les bureaux sont décorés: un Post-it en couture pour 4 euros la journée, dit
 forme de coeur, une carte postale «Ciao100 Hélène. Pas très motivant.» Pas
 Bella»… Le matin, elles arrivent coif- d’expérience professionnelle, pas de
 fées et maquillées. Pourtant, personne diplôme, elle ne pensait pas être
40 ne les voit. Sur un mur, une affiche sélectionnée. «J’ai dit que je voulais
 rappelle la règle d’or: «Le sourire m’en sortir. Ils m’ont prise. La veille de
 s’entend au téléphone.»105 mon premier jour, je n’ai pas dormi.
3    «Ce boulot, c’est une porte sur Les premiers appels étaient un
 l’extérieur», dit Hélène. Ce job, sou- cauchemar, j’étais tellement stressée
45 vent synonyme d’instabilité, fait peu que j’arrivais à peine à bouger les
 rêver les gens en liberté. En prison, il lèvres.» Pour la première fois de sa vie,
 est synonyme d’«évasion». C’est le seul110 elle a mis le réveil. En juillet, elle
 travail qui permet de communiquer retrouvera la liberté. Et un boulot.
 avec les gens du dehors. Parfois, on «Webhelp a décidé de m’embaucher
50 leur donne du «bonjour, madame» ou dans leur centre de Vitré, à quelques
 du «je vous en prie». Pour des kilomètres d’ici. Cet été, je vais refaire
 détenues habituées au tutoiement ou115 ma vie.»