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Maud Fontenoy «Il ne tient qu’à nousde sortir des sentiers battus.»

de sortir des sentiers battus.» Deux mois qu’elle rame - oui, elle rame!
- pour accomplir la première traversée féminine du Pacifique
(après celle de l’Atlantique il y a deux ans), 5 000 kilomètres déjà gagnés,
3 000 encore à grignoter… Pourquoi Maud Fontenoy, 27 ans, a-t-elle tenté ce
nouveau pari insensé?


     vouloir qu’à moi-même si cela n’allait
 50 pas. A mi-parcours, j’ai éprouvé un vrai
  plaisir à être là, au milieu de l’océan, et
  j’ai l’impression que la solitude me ren-
  force chaque jour. Mais parfois, c’est
  vrai, la solitude peut être douloureuse.
 55 Alors, j’essaie de retrouver un peu
  d’humain dans des petites choses: mon
  journal de bord, un livre… La musique,
  c’est aussi une manière de penser à
  autre chose quand je perdais mes
 60 repères.
  (4) Ne compter que sur vos
  propres ressources, dites-vous.
  N’êtes-vous pas attirée par le
 (1) Une femme qui a choisi de danger?
 traverser l’océan, ce n’est pas si65 Mais non! Je ne suis pas kamikaze,
 banal. et je n’ai pas le goût de la mort! Une
 La mer, c’est ma vie. A l’âge de 6 aventure comme celle-là est forcément
5 jours, j’ai traversé l’Atlantique sur le dangereuse, mais je fais tout pour
 bateau de mes parents, où j’ai ensuite qu’elle le soit le moins possible. Quand
 passé toute mon enfance et mon ado-70 je suis partie la première fois, certains
 lescence. J’ai sans doute besoin de ont dit: «Elle fait un grand saut dans le
 l’océan pour retrouver ces bonheurs vide, les yeux fermés.» Non. J’essaie
10 d’autrefois. Certains se disent: «Elle a juste de prouver que l’on peut toujours
 déjà parcouru l’Atlantique nord, pour- faire face à un défi. C’est une manière
 quoi est-elle repartie?» Eh bien, parce75 de dire aux autres: «Oui, vous pouvez
 que j’avais envie de nouveauté, d’un vous aussi réaliser vos rêves! Rien n’est
 autre défi: Personne n’avait encore impossible!» Même s’il y a des difficul-
15 réalisé cette traversée à la rame. Et tés, on finit toujours par trouver du
 puis, l’océan purifie le corps et l’âme. bonheur en les affrontant. Peu importe
 J’ai l’impression que les flots, les em-80 le temps que cela prend: une aventure
 bruns, la pureté qui règne ici me lavent comme la mienne est longue, les dis-
 des souillures que j’ai accumulées sur tances sont immenses, j’avance très
20 terre. Partir seule en mer, avec peu de lentement, je risque de rencontrer des
 chose, pour rencontrer ces éléments à vents contraires qui me repoussent. On
 l’état brut, c’est comme un grand85 n’est jamais sûr d’aller jusqu’au bout.
 nettoyage. Mais tenter l’aventure, c’est déjà
 (2) Vous auriez pu apprécier tout enrichissant. Trop de gens se croient
25 cela sur un bateau plus confor- prisonniers de leur vie. Ils se trompent.
 table. Pourquoi diable avoir Nous sommes tous libres. Il ne tient
 choisi de ramer?90 qu’à nous de sortir des sentiers battus.
 D’abord par goût de l’effort. Pour (5) Ces aventures extrêmes, ont-
 moi, le bonheur n’est pas forcément un elles modifié le regard que vous
30 confort: je pense que le sentiment de portez sur les êtres humains?
 plénitude se gagne au prix de la diffi- J’ai plus d’indulgence à leur égard.
 culté. Et puis, je voulais une aventure95 L’Atlantique et maintenant le Pacifique
 simple, sur un tout petit bateau à fleur m’ont appris à aimer davantage mes
 d’eau (je suis à 30 centimètres de la semblables. J’aime leurs faiblesses,
35 surface), sans gros moyens, pour être j’aime leurs doutes. Je crois que l’es-
 au plus proche des éléments et pouvoir sentiel est là: dans notre vulnérabilité.
 mettre la main dans l’eau pour caresser100 Mettons en valeur ce qui va bien et
 les dauphins, pencher la tête pour nous retrouverons confiance en nous.
 apercevoir les daurades coryphènes, J’ai un dream catcher indien (un
40 regarder les oiseaux étonnés de me voir attrapeur de rêves) au-dessus de ma
 avancer si lentement, bref, goûter à couchette, un petit filet supposé capter
 tous ces petits plaisirs inaccessibles sur105 les cauchemars et les brûler aux
 un bateau à voile ou à moteur. premiers rayons du soleil, et un nez de
 (3) Autre difficulté: la solitude clown accroché au bateau, une manière
45 que vous vous êtes imposée. de 34 . Mon secret, c’est de me mo-
 J’ai voulu partir seule. Mon défi quer d’une manière un peu méprisante
 était de puiser au fond de moi la force110 des difficultés. On peut toujours voir
 de continuer chaque jour, de n’en les choses sous un autre angle.

«L´Express»