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Un monde de plus en plus inégal sur le plan alimentaire

L’expert Sylvie Brunel dénonce le cynisme des Etats et des rebelles.

Un monde de plus en plus inégal sur le plan alimentaire

1    Il y a près d’un demisiècle, un médecin,    humanitaire, qui intervient
 Josué de Castro, dénonçait la famine50 
 organisée de certaines populations brésiliennes 
 dans un livre au titre saisissant, Géopolitique 
5 de la faim. Son analyse reste d’une brûlante 
 actualité, dit Sylvie Brunel, qui coordonne un 
 ouvrage qui porte le même titre, fruit du 
 travail collectif d’hommes 
 et de femmes de terrain de l’ONG4) Action contre la 
10 faim, et d’experts, juristes, agronomes ou historiens. 
2    Cet ouvrage, qui paraîtra à l’occasion de la Journée là justement où les populations ont le plus
 mondiale de l’alimentation, traduit le malaise des besoin d’aide. Il y a peut-être une autre attitude à
 associations humanitaires face au phénomène signalé adopter: chercher à accéder aux victimes, en refusant
 déjà dans le livre de Josué de Castro et qui de passer par les conditions fixées par le mouvement
15 aujourd’hui se présente fréquemment. Malgré des55 armé ou le gouvernement qui prétend les imposer. Si
 réserves mondiales suffisantes pour nourrir toute la toutes les organisations humanitaires adoptaient un
 population mondiale, malgré la mise au point de front commun et exigeaient des gouvernements en
 systèmes d’alerte et de prévention, malgré le savoir- place le libre accès aux victimes et le libre choix de
 faire des organisations humanitaires, plus de 30 lieux et de méthodes d’intervention, elles susciteraient
20 millions de personnes souffrent de faim aiguë et en60 un véritable rapport de force. Ces gouvernements ou
 meurent, et 800 millions d’autres sont en état de sous- ces mouvements ne sont pas tous suicidaires. Ils se
 alimentation chronique. Une nouvelle géopolitique de rendent bien compte qu’ils ont intérêt à coopérer car
 la faim se dessine.Auteur de plusieurs ouvrages sur ce ils savent que, quand l’aide arrive, elle engendre une
 sujet et conseillère à Action contre la faim, Sylvie création de richesses et de revenus dont toute
25 Brunel répond aux questions de Libération.65 l’économie profite.
 Comment en est-on arrivé là? Qui nourrira le monde demain?
3    -Les conflits ont changé de forme. Avant, on5    -On sait que, techniquement, on peut nourrir le
 affamait l’ennemi pour le faire céder. Bien entendu, ça monde entier, surtout que les démographes s’accor-
 existe toujours, c’est le cas par exemple au Soudan. dent pour dire que la population du monde ne
30 Mais ces dernières années ont vu se développer une70 dépassera probablement pas 11 milliards d’individus.
 nouvelle géopolitique, beaucoup plus cynique. Les Le problème, c’est l’accès à la nourriture. Les réserves
 mouvements armés et les gouvernements font exprès alimentaires sont très mal partagées, parce que leur
 d’affamer leur propre population dans le but de faire répartition dépend des sommes que les Etats
 venir l’aide internationale qu’ils utilisent ensuite pour investissent dans l’agriculture. Le pouvoir alimentaire
35 financer leur guerre. La faim est devenue ainsi une75 est donc entre les mains des grands pays développés et
 arme de guerre, c’est la conséquence d’une stratégie leur production s’adapte à la demande solvable5). Or,
 délibérée. les 800 millions de personnes qui sont aujourd’hui
 Dans ce schéma, les organisations humanitaires exclues des circuits d’échange ne font pas partie de la
 sont les auxiliaires involontaires de la famine… demande solvable. Le risque est donc d’aller vers un
440    -C’est aujourd’hui tout l’enjeu, toute la problé-80 monde de plus en plus inégal sur le plan alimentaire.
 matique des organisations humanitaires. Il y a deux L’avenir qui se dessine n’est pas particulièrement
 attitudes. On peut dire que l’on refuse encourageant.
 d’être dupe, refuser d’aller en Ethiopie à 
 cause des déplacements de population, 
45 ou en Somalie, parce que c’est financer 
 les seigneurs de la guerre, etc. Mais85 Marie-Laure Colson, dans «Libération»
 adopter cette position de principe, c’est du 16 octobre 1998
 renoncer à ce qui est au départ le mandat

l’ONG: afkorting van Organisations non gouvernementales
la demande solvable: de mensen die bepaalde producten willen hebben en deze ook kunnen betalen