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Qui veut faire rentrer les femmes à la maison?

Qui veut faire rentrer les femmes à la maison?



On assiste aujourd’hui à l’introduction d’une allocation parentale d’éducation (APE) qui permet aux parents
d’arrêter temporairement leur travail pour se consacrer entièrement à l’éducation de leurs enfants. Elisabeth
Badinter, philosophe, s’y oppose. Interview

1    Assiste–t–on, après deux ou trois décennies    l’allocation parentale
 de conquêtes féministes, à un petit vent nostalgique? d’éducation. Pourquoi?
 Il est vrai qu’aujourd’hui, on assiste à un50 Recevoir un demi–
 retour en arrière. Dans les années 1970, nous Smic1) pour cesser de tra–
5 rêvions de poursuivre des études, de faire car– vailler, c’est se retrouver
 rière, d’être indépendantes financièrement et de enchaînée. On ne peut plus
 partager les rôles à la maison. De nos jours, on se défendre en cas de dif–
 parle d’une nouvelle séparation entre filles et55 ficulté conjugale ou autre,
 garçons à l’école, on assiste à l’instauration et il n’est jamais facile de trouver un emploi
10 d’un salaire maternel – parler de salaire parental après un long arrêt. Au début, en 1985–1986,
 relève de l’hypocrisie – et on observe un rejet l’APE n’était versée qu’aux mères de trois
 du mot «féminisme» par les jeunes générations. enfants ayant travaillé pendant les trente mois
2    Il paraît que de plus en plus de jeunes60 précédents. Depuis, les conditions se sont
 femmes arrêtent de travailler pour élever assouplies. Et on a proposé l’APE dès le
15 leurs enfants. Vous trouvez que c’est mal? deuxième enfant. On a vu le résultat: en 1994,
 Disons que je trouve normal que chacun pour la première fois, le taux d’activité des
 fasse ses choix. Mais ce qui m’inquiète, c’est mères de deux enfants a chuté de 70 à 55%. Ces
 que je n’entends pas de contre–discours. Person–65 femmes, trois ans plus tard, ont eu du mal à retrouver
 ne ne met les femmes en garde: d’accord, vous du travail. Depuis avril 2003, l’allocation
20 arrêtez de travailler pendant trois ou quatre ans, parentale pour le premier enfant aura les
 mais après, qu’allez–vous devenir? Tout se mêmes conséquences. Il est sans doute normal
 passe comme si on ne travaillait aujourd’hui que qu’un ministre de la Famille propose ce genre
 pour des raisons de survie. C’est peut–être vrai70 de mesures. Mais le ministre chargé des femmes
 pour certaines, mais je n’entends personne prévenir: devrait alerter les mères à propos de leurs
25 «Ma fille, il faut que tu travailles, car, si dangers: attention! l’APE peut être un avantage,
 tu ne le fais pas, tu vas devenir dépendante, tu mais voilà ce que vous risquez...
 vas perdre ta liberté.»6    Vous ne pouvez pas nier que certaines
3    Vous pensez que la maternité est en train75 femmes pauvres ont vraiment besoin d’aide si
 de redevenir une valeur culte? elles veulent avoir un bébé...
30 On revient au mythe de la maternité heureuse. Bien sûr qu’il faut les aider, mais en leur
 En faire le destin idéal des femmes comme offrant des gardes d’enfant. Avez–vous entendu,
 si c’était la seule voie du bonheur, c’est depuis quinze ans, un seul grand discours sur la
 renouer avec une «bien–pensance» digne du80 nécessité de créer des crèches collectives en
 XIXe siècle. France? Moi pas. Avez–vous entendu un responsable
435    A une grosse différence près: aujourd’hui politique appeler les hommes au partage
 on ne subit plus ses grossesses, on les choisit, des tâches dans leur vie privée? Jamais.
 on les programme grâce à la contraception. Entendez–vous dire qu’on va investir dans les
 C’est un privilège extraordinaire. Mais il85 gardes à domicile? Encore moins. Il est plus
 n’a pas mis fin à l’illusion absolue que économique, c’est vrai, de donner un demi–Smic
40 l’enfant incarne la réussite féminine. Or il à une femme qui veut avoir un enfant. Mais
 n’est pas facile d’être mère, c’est compliqué. c’est un choix politique qui lui rend un mauvais
 Et quand, sous la plume de pédiatres renommés, service à long terme. Il ne faut pas oublier que
 je lis que si les mères s’occupent à plein–90 la maternité occupe quinze ou vingt ans de sa
 temps de leurs enfants, ils ne seront ni agressifs vie. Le reste du temps, si elle n’a pas d’autre
45 ni drogués, je suis stupéfaite: c’est tromper intérêt ni de ressources financières, que
 les femmes par un mensonge! deviendra–t–elle?
5    Vous vous opposez à

«L ’Express»

le smic (le salaire minimum interprofessionnel de croissance): het minimumloon