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La télévision

«La télévision crée encore du lien social»

Zapping, multitasking… Aujourd’hui, chacun se fait son programme personnel
sur son écran personnel. Mais que partagent les téléspectateurs les uns avec les autres?
Interview avec Denis Muzet, sociologue
spécialiste des médias.


    345    La publicité a-t-elle eu une
  influence sur les programmes?
  Une chaîne utilise les programmes
  pour accrocher le public, afin qu’il
  regarde la publicité, car celle-ci est sa
 50 principale ressource financière. La
  publicité a donc une force con-
  traignante sur les contenus. Par consé-
  quent, impossible de programmer la
  même chose en prime time ou dans
 55 l’après-midi, puisque le public n’est
  pas le même et qu’on ne lui vend pas la
  même chose. Mais la pub a une autre
  influence: elle a imposé son rythme et
1    Phosphore: Comment la son style aux programmes. Prenons
 télévision a-t-elle évolué au sein de60 l’exemple des magazines d’informa-
 notre société? tion: les plans sont très courts, les
 Denis Muzet: Autrefois, la famille «personnages» sont stéréotypés, y
5 se retrouvait devant le petit écran le compris dans les journaux télévisés.
 soir. On partageait moins un programme4    Le comportement des téléspecta-
 qu’une expérience familiale. Ce qui65 teurs a-t-il évolué?
 était important, c’était le vécu collectif, On a vu apparaître le «multi-
 la participation de chacun. Cela provo- tasking »: le fait d’être en même temps
10 quait des discussions pendant le pro- connecté à deux médias ou plus, par
 gramme, mais aussi après. On exemple la télévision et Internet. Une
 partageait tous les mêmes héros, les70 enquête menée aux Etats-Unis sur la
 mêmes histoires. Ce phénomène a volé pratique croissante du «multitâche»
 en éclats: les audiences sont désormais chez les jeunes révèle que c’est un
15 éparpillées entre une multitude de moyen pour eux d’éviter l’ennui. De
 canaux, de programmes, d’appareils de nos jours, on se lasse rapidement. C’est
 réception. Il existe cependant toujours75 aussi ce qui a imposé une certaine
 des programmes qui réunissent des écriture télévisuelle. On part du prin-
 audiences très larges. La télévision cipe qu’à chaque seconde, un téléspec-
20 crée encore du lien social autour d’un tateur peut s’en aller. On va donc sur-
 grand événement sportif ou d’actualité. valoriser les effets, l’émotion, le spec-
2    La télévision remplit donc encore80 taculaire, le drame, etc.
 un rôle social…5    Le spectateur se méfie-t-il
 Disons que des émissions telles que davantage des images?
25 Star Academy ou Nouvelle Star Aujourd’hui, la culture de l’image
 entraînent plus d’échanges que est plus vaste. On ne se fait pas facile-
 d’autres programmes. Elles fédèrent85 ment piéger. Toutefois, le téléspecta-
 des âges, des catégories sociales teur alterne, des phases d’hypervigi-
 différentes. Cela peut être vrai aussi lance et des phases d’abandon pendant
30 pour les programmes d’actualité. Lors lesquelles il se sent manipulé. Cela crée
 des attentats du 11 septembre 2001, j’ai un rapport à l’écran très particulier,
 regardé les informations avec mes90 fait de croyance et de suspicion. En
 enfants et on en a beaucoup discuté. La 2001, le public a cru, en regardant Loft
 télé n’est pas un spectacle que l’on con- Story, qu’il allait avoir accès à la vérité
35 somme comme une vidéo que l’on voit des êtres. Et puis il s’est rendu compte
 seul sur Internet. Ces expériences que cette vérité n’était qu’apparence,
 forgent le collectif, créent des valeurs95 qu’il y avait surjeu, manipulation. La
 du fait que les gens prennent position. télé-réalité a évolué et met en scène
 Cela a un effet miroir et ça nourrit les désormais ce décalage. Le
40 échanges dans la société. Et, lorsque téléspectateur se demande: «Est-ce du
 l’on ne partage pas ces échanges parce lard ou du cochon, la vérité ou un
 qu’on n’a pas vu ce programme, on a100 mensonge?» Même en regardant le
 l’impression d’être en dehors de la journal télévisé.
 société.