Background image

terug

Une ex-SDF témoigne: «Comment j’ai quitté la rue»

Une ex-SDF témoigne:
«Comment j’ai quitté la rue»



1     Ce qu’elle dit en premier, c’est   6     Elle rencontre Tom, qui devient
 qu’elle est heureuse. Que c’est vrai-60  son guide au pays des SDF. Il lui confie
 ment bien le petit appartement en sa devise: «Méfie-toi de tout le
 banlieue, le boulot de nourrice. Mais, monde.» Elle apprend peu à peu les
5  dans son regard, il reste des traces du règles de la rue: «La loi du silence, on
 passé, de la rue. Brigitte a voulu en ne pose pas de questions sur le passé
 témoigner dans un livre qui tord le65  des gens parce que c’est leur seul petit
 coeur. Difficile d’imaginer sa dérive trésor.» Ce dont elle souffre le plus,
 quand on rencontre cette femme de c’est du froid, vingt-quatre heures par
10  quarante-cinq ans, élégante, soignée et jour. Elle ajoute: «J’avais beau super-
 réservée. poser les pulls et les chaussettes, cette
2     Ça n’a pas été une lente chute. La70  sensation de froid ne m’a jamais quit-
 rue, c’est toujours du jour au lende- tée. » Evidemment, pour avoir chaud, il
 main. «On croit toujours que cela y aurait bien l’alcool ou autre chose.
15  n’arrive qu’aux autres», dit-elle. Elle Mais elle ne veut pas sombrer: «Une
 pensait qu’elle aurait une famille, des femme dans la société, ce n’est déjà pas
 amis pour la soutenir…[id:55188] Marc,75  facile mais, dans la rue, vous n’êtes
 son compagnon, avait fait le vide rien. Etre macho est la seule chose qui
 autour d’elle. Quant à la famille, il ne reste à ces hommes. J’avais peur de la
20  lui restait qu’une soeur, peu disposée à violence, des viols.»
 secourir son aînée. C’est comme ça que7     «Vous n’arrivez pas à vous en
 ça arrive, la rue.80  sortir parce que, toujours aux aguets,
3     Après une nuit sans abri, il y en eut vous ne dormez pas et vous vous
 une deuxième et ainsi de suite. Et ça a épuisez. Vous ne pouvez pas vous
25  duré deux ans. Comment on en arrive présenter à un entretien d’embauche
 là? Quand elle naît, sa mère ne veut dans l’état où vous êtes. Et, petit à
 pas d’elle. Elle passe ses sept premiè-85  petit, on n’a plus confiance en person-
 res années dans une ferme, auprès ne, ni même en soi. Je ne pouvais
 d’une nourrice qu’elle considère com- m’empêcher de penser que j’étais
30  me sa maman. Un jour, son père vient nulle, que je n’y arriverais jamais toute
 et la ramène à la maison, où entre- seule.» Le salut de Brigitte vient d’un
 temps une petite soeur est née. Mais sa90  autre SDF, Samy, avec lequel elle «vit»
 mère n’aime toujours pas Brigitte. Dès durant quelque temps. Samy est alcoo-
 qu’elle le peut, Brigitte quitte la lique, il décide de suivre une cure de
35  maison. Un travail, des copains, des désintoxication. Pour Brigitte, cette
 fêtes, des amoureux, la vie… cure est un déclic. Qui lui donne envie
4     Jusqu’à la rencontre avec Marc,95  de redémarrer dans la vie. Une amie
 propriétaire d’une salle de sport. rencontrée à l’église l’héberge pendant
 «C’était un ami toujours à l’écoute des que Samy se soigne. Et lorsque Samy
40  gens, quelqu’un de très doux, présent sort de cure, une association leur
 et enthousiaste. Je me sentais bien trouve un hôtel… Mais, en deux jours,
 avec lui.» Trois ans et demi à travailler100  il retourne à la rue et à l’alcool.
 pour lui. Sans salaire: il l’entretient.8     La catastrophe. Pas pour Brigitte:
 Peu à peu, le gentil ami se transforme «Pour moi, la rue, c’était terminé. Je
45  en vilain amant. Il l’exploite, la trompe ne pouvais pas le suivre dans sa dérive.
 et la bat. Elle encaisse en silence, J’ai lancé un SOS… On m’a rapidement
 jusqu’au jour où il menace de la tuer:105  logée dans un centre.» Il lui faudra
 «Je suis partie sans manteau, sans encore un an pour trouver sa place de
 argent, avec juste mon sac. C’était une nourrice. Une victoire qu’elle rem-
50  question de survie.» portera sans oser révéler la vérité à ses
5     Et voici sa première nuit à la rue. employeurs. Et c’est dans le centre où
 Le lendemain, elle marche toute la110  elle habite qu’elle fait la connaissance
 journée, se fond dans la foule, avant de la journaliste Véronique Mougin,
 d’échouer sur un banc. Ensuite, deux avec qui elle écrira un livre. Aujour-
55  autres nuits au commissariat du quar- d’hui, à quoi pense-t-elle, Brigitte,
 tier, puis une troisième à l’hôpital quand elle croise un SDF? «Au
 Saint-Antoine, qui sert de refuge aux115  risque…»
 sans-abri.