Background image

terug

Noël sous la tente

Noël sous la tente

De notre reporter
    les sans-abri, pour écrire «Sans domi-
 cile fixe», je découvre un nouveau
 monde. A l’époque, les tentes n’exis-
 taient pas. On dormait sous les car-
 tons. Les étrangers étaient rares. Au-
 jourd’hui, le SDF vient généralement
 d’un autre pays. Actuellement, il est
 organisé, se déplace en petits groupes
 de quatre à cinq. Il s’installe en pleine
 rue, sur les trottoirs très fréquentés. Il
1     Cinq mois. A compter les jours. A ne se cache plus. Il s’expose. Radu fait
 les voir s’écouler sans fin. Cinq mois de partie de cette longue cohorte de
 bivouac au coeur de Paris. Dans l’ennui «déplacés» qui peuplent les quais et les
 et l’oisiveté. Radu, sous la tente, face à grandes avenues de la capitale. Leur
 la gare d’Austerlitz, n’en finit pas de territoire, les quelques mètres carrés
 tourner les pages du calendrier de sa de bitume qu’ils occupent, est sacré.
 vie. Sale vie. Il est venu en France il y a Un home sweet home sans mur, sans
 un an. Il refuse qu’on le traite de chauffage. Où l’intrus est regardé d’un
 clochard. Lui, il se voit comme un tra- sale oeil. Aucun doute: je suis un
 vailleur immigré. Il rêvait d’un boulot intrus.
 de manoeuvre. Mais rien ne s’est passé3     Comment entrer en contact avec
 comme il voulait. Dans le froid, il n’a eux? Saisir les drames personnels, les
 qu’un espoir: l’entrée de la Roumanie itinéraires brisés, les vies en miettes.
 dans l’Union européenne. Alors tout Tous se sont repliés sur les gestes du
 ira mieux, répète-t-il. Quand il sera quotidien. Impossible d’aller au-delà.
 européen. Là, il pourra peut-être Les thèmes sont toujours les mêmes:
 revenir au pays, voir ses petits enfants. les flics, le boulot. Des flics passent,
 Il sort leurs photos de sa poche. Il contrôlent les papiers d’identité. La
 sourit. Nostalgie d’une famille unie. Il routine. Dans quelques jours, ils chan-
 a une tente Médecins du Monde. Du geront de lieu, à cause d’une plainte
 bon matériel qui protège du mauvais des riverains, irrités par le bruit, les
 temps, mais pas du froid. cris, les disputes, ou parce que la peur
2     Durant huit jours, je me suis glissé gagne du terrain dans le quartier. «On
 dans la tribu des SDF parisiens; équi- sait que, dans d’autres coins, les gens
 pé, comme eux, d’une tente Médecins ont brûlé les tentes pour que les col-
 du Monde. Huit jours à dormir sous un lègues partent, dit Radu. Alors nous,
 igloo dans les campements de fortune, on fait attention. On essaie d’être polis,
 en suivant un itinéraire de carte pos- sauf quand les gens nous regardent
 tale: canal Saint-Martin, place de la mal. Nous, on veut bosser.» Bosser,
 République, pont d’Austerlitz, pont l’obsession de la majorité de ceux que
 Charles-de-Gaulle. Quinze ans après j’ai croisés. Tenter par tous les moyens
 ma première expérience de vie parmi de remonter la pente.