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Fière de sa «double appartenance»

Une autre vision de l’immigration

Fière de sa «double
appartenance»

A 5 ans, Naïma a dû quitter son village d’Algérie pour rejoindre son père,
ouvrier à Creil, non loin de Paris. Entre les difficultés de l’exil¹ et ses devoirs
de fille aînée dans une famille de huit enfants, elle a su se faire un chemin
brillant jusqu’aux études de droit. Aujourd’hui, âgée de 24 ans, elle attend sa
naturalisation, tout en étant fière de sa double culture. Elle nous parle de ses
difficultés et de ses victoires.


1    Le Nouvel Observateur: - «Intégration», le mot   30 n’ai pas su ce qu’était le racisme. Mais dès que j’ai eu à
 vous choque. Par quel terme préférez-vous décrire chercher du travail pour financer mes études, j’ai été
 votre parcours? confrontée à des réactions de rejet qui m’ont vraiment
 Naïma Kouadria: - Quand on dit aux immigrés «inté- blessée. Quand j’envoie un curriculum vitae, je ne
5 grez-vous», on suppose qu’ils pourront seulement vivre ici mentionne pas ma nationalité, et je n’inscris pas l’arabe au
 en renonçant à leur culture d’origine. C’est à la fois cruel35 nombre des langues que je parle.
 et faux. Ma mère, par exemple, ne ressemble guère à la4    N.O. - Quand on voit votre parcours, on se dit que
 Française type. Pourtant, on peut dire que c’est un modèle le système scolaire français connaît tout de même
 d’adaptation, au sens où elle a parfaitement su élever ses quelques réussites…
10 enfants ici. Je préfère l’idée de «double appartenance»: je N.K. - Même si on le critique souvent, je trouve le
 me sens Française, mais je me sens aussi pleinement40 système scolaire français très bien, et j’y ai rencontré une
 Algérienne. Je veux vivre ici, mais je ne crois pas que pour grande tolérance. J’ai fait toute ma scolarité sur le plateau
 cela je doive couper le fil de mon histoire familiale. de Creil au milieu d’une population très mélangée, et
2    N.O. - Est-il si facile de vivre cette double aucun professeur n’a jamais manifesté la moindre gêne à
15 appartenance? N’a-t-elle pas parfois une ressemblance l’égard de notre différence. La plupart se sentaient très
 avec un double exil?45 concernés, même au-delà du plan purement scolaire.
 N.K. - Si, bien sûr. Ici et là-bas, on nous fait sentir5    N.O. - Parmi les valeurs transmises par votre
 notre différence par rapport aux «vrais» Français et aux éducation française, laquelle vous est la plus chère?
 «vrais» Algériens. Ici et là-bas, nous sommes des N.K. - La liberté, en particulier la liberté d’expression!
20 immigrés. Quand nous retournons en Algérie pour les Il y a des obstacles à vaincre pour les immigrés, c’est vrai,
 vacances, on nous reconnaît: nous avons un accent, on est50 mais la France reste quand même un merveilleux pays
 habillé différemment. On est très jaloux de nous parce que d’accueil. Je suis venue d’un milieu financièrement
 le rêve français est encore vivace. Ici, c’est le contraire, défavorisé et l’Etat français m’a donné la possibilité de
 beaucoup nous considèrent d’abord comme des Algériens. poursuivre des études. Ici on donne les moyens de réussir
25 Mais le regard des autres est secondaire, je n’ai pas de à n’importe qui. C’est ça l’honneur de la France.
 problème d’identité et je ressens ma double culture comme 
 une vraie richesse.55 propos recueillis par Aude Lancelin, dans
3    N.O. - Vous avez souffert de discriminations? «Le Nouvel Observateur» du 29 avril au
 N.K. - Tant que je suis restée dans le milieu scolaire, je 5 mai 1999
 


¹ l’exil = de ballingschap