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Abdel, vingt-huit ans, un immigré originaire du Maroc. Portrait

Abdel, 28 ans, un immigré originaire du Maroc. Portrait


1    Sa casquette enfoncée sur la tête,   30 qui sont handicapés à cause d'une
 Abdel discute informatique et se souv- chute sur un chantier et qui se retrou-
 ient avec fierté de sa brillante réus- vent sans ressources pour vivre… Jus-
 site au bac. «Mon père était institu- qu’à aujourd’hui, j’ai eu de la chance,
5 teur, il a été très fier de moi. » Souri- mais demain…»
 ant, posé, un air naïf, une maîtrise par-335    En 1990, à 18 ans, le jeune Marocain
 faite de la langue française, Abdel res- franchit la Méditerranée. Originaire
 semble à tous les jeunes de son âge. Il d’Oujda, à la frontière algérienne, Abdel
 va travailler l’été en Corse, où il a de est issu de la classe moyenne marocaine.
10 la famille, et met de l’argent de côté «Depuis mon enfance, même si je savais
 pour voyager plus tard en Amérique40 que ça allait être difficile, je rêvais de
 du Sud… L’avenir, Abdel le voit ain- venir en France pour améliorer ma situ-
 si: «J’aimerais travailler dans l’infor- ation. Je ne m’attendais pas à arriver au
 matique. Il y a beaucoup de perspec paradis, je voulais simplement continuer
15 tives, alors j’essaie de passer le plus les études. Et puis mon frère aîné, qui a
 de temps possible sur mon PC.» Or…45 été régularisé4) en 1997, vit à Marseille.
 pour pouvoir le faire, il lui manque J’ai aussi de la famille en Corse, en
 une seule chose, à savoir les ‘papiers’. Belgique et à Paris.»
 Cela lui fait aussi défaut pour4    Au début, Abdel a eu du mal à
20 voyager, travailler, bénéficier d’une s’adapter. «Le climat, la façon de vi-
 retraite, de la Sécurité sociale, pos-50 vre, de manger, de discuter, les habi-
 séder un compte bancaire, sortir sans tudes… tout était différent pour moi,
 courir le risque de finir la nuit dans un mais j’avais l’espoir de réussir.»
 centre de rétention. Abdel survit, trouve de petits bou-
225    Abdel est un clandestin, un «sans- lots, «dont personne ne veut» mais
 papiers». Lui et ses pairs travaillent55 «n’évite plus les patrouilles de flics».
 sans droits, employés par des patrons «Avant, j’avais peur de me faire
 peu corrects. «J’ai travaillé dans le arrêter, maintenant, j’ai l’habitude.»
 bâtiment et je connais des sans-papiers Rentrer chez lui? «J’ai l’habitude de

 vivre ici, j’appelle mes parents de    nouvelle interprétation de la loi qui a
60 temps en temps. Ils m’attendent tou- décidé Abdel à se battre: «Nous ve-
 jours, mais le pays ne me manque pas. nons de remettre deux cents dossiers à
 Mais le jour où ils seront malades,85 la préfecture. En nous rassemblant,
 comment vais-je faire?» nous aurons plus de poids pour dis-
6    Pour obtenir des droits, le jeune cuter.» Mais pour établir sa présence
65 Marocain s’engage dans un collectif sur le territoire français, il faut des
 de sans-papiers. «En 1997, le gou- preuves. «Moi, qui ne peux me fixer,
 vernement Jospin a promis de régu-90 j’ai toujours jeté mes papiers. Com-
 lariser toutes les demandes mais il n'y ment retrouver des documents vieux
 a eu aucun résultat. Avant, je n’avais de dix ans? Je suis remonté à 1994
70 fait aucune demande, de peur de me mais pas avant… Je devrai falsifier
 faire repérer comme clandestin. On ne des documents pour prouver ma pré-
 peut me chasser vers aucun pays95 sence ici…»
 puisque je fais attention à n’avoir au-8    Abdel est conscient de ses chances
 cun papier officiel sur moi. J’ai été d’obtenir des papiers. C’est pour sa
75 contrôlé une fois et j’ai passé un mois régularisation et celle des autres que
 dans un centre de rétention. J’ai refusé chaque samedi, à 17 heures, il mani-
 de donner ma nationalité. Alors les100 feste place du Châtelet à Paris. «Notre
 autorités m’ont remis en liberté.» collectif est fragile mais c’est la seule
7    Une nouvelle circulaire permet aux façon de me battre et d’exister dans ce
80 sans-papiers résidant en France depuis pays où je ne suis rien.»
 dix ans d’être régularisés. C’est cette 
  Marie Godfrain, dans
 105 «Phosphore»