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Le réveil tranquille de Superphénix

11     Au coeur des montagnes du département de l'Isère, entre les champs de maïs et les
2 sous-bois, la centrale nucléaire de Creys-Malville se réveille doucement. Le
3 surgénérateur¹ Superphénix, qui a suscité tant de critiques depuis vingt ans, a été remis en
4 marche jeudi sans qu’aucune manifestation ne vienne troubler son réveil. «La mobilisation
5 est morte», dit Maurice François, agriculteur en retraite et voisin de la centrale, à laquelle il
6 s'oppose depuis plus de vingt ans.
27     On est bien loin de cette année 1977 o ü près de 80 000 personnes avaient pris le
8 chemin de Faverges en Isère pour manifester violemment contre la construction de la
9 centrale. Bilan: un mort et de nombreux blessés.
310     Il est vrai que le gouvernement a choisi le moment idéal, en plein été, pour la remise
11 en marche de la centrale. «C'est une véritable manipulation, car on nous avait laissé
12 entendre qu'il ne se passerait rien avant septembre», hurle Raymond Avrillier, porte-
13 parole des Européens contre Superphénix et militant anti-nucléaire depuis 1975. Même
14 réaction de la part de Greenpeace, où l'on parle de «piège»: «Il no us est totalement
15 impossible de réunir beaucoup de monde en plein mois d'août et en si peu de temps; et si
16 nous manifestons à quelques-uns on dira que l'opposition est finie.» «Ils n'ont plus
17 d'arguments», commente André Lacroix, le directeur de la centrale. «Superphénix a
18 redémarré maintenant, car nous étions prêts maintenant», jure-t-il.
419     Seuls les Suisses de l'association Contratom ont réussi à réunir quelques troupes.
20 Hier, 150 d'entre eux ont passé la frontière pour porter plainte contre Superphénix «pour
21 mise en danger de leurs vies». «Nous ne nous arrêtons pas là», assure Sylvie Hôtellier,
22 secrétaire de Contratom. Déjà, pendant la marche contre Superphénix en avril, Contratom
23 avait réuni plus de trois mille personnes à Genève, tandis que les Français n'en avaient su
24 attirer que quelques centaines. Selon Sylvie Hôtellier ça s'explique par le fait que «la
25 France souffre de problèmes plus graves que le nucléaire».
526     «Il y a un sentiment d'impuissance», regrette Maurice François qui produit sa propre
27 électricité de façon écologique. «Maintenant que la centrale est là, on ne sait plus très bien
28 quoi faire, poursuit-il. Ça va faire vingt ans qu'il y a des manifestations, alors on ne va pas
29 se battre à chaque fois.»
630     La fatigue de vingt années de lutte a provoqué une réduction des troupes
31 antinucléaires. «En fait, il n'y a jamais eu d'opposition très forte ici, car nous vivons dans
32 un milieu rural où l'on n'aime pas manifester», dit Georges David, un enseignant qui
33 habite le village voisin de la centrale. «Sur les 80 000 manifestants de 1977, seuls 5 000
34 étaient de la région», explique-t-il. Et parmi ces 5 000, beaucoup se sont habitués à la
35 présence du surgénérateur. «Les violences des manifestations de la fin des années 1970 ont
36 découragé pas mal de gens, puis l'argent a fait le reste», poursuit Georges David.
737     Car la centrale, ici, c'est aussi une affaire de gros sous. Certaines communes, d'abord
38 opposées à la construction de Superphénix, ont cédé aux avantages financiers. Si la
39 centrale fonctionne à partir de l'année 1995, c'est un montant de près de 70 millions de
40 francs que se partageront les communes des environs. La ville de Morestel, le chef-lieu du
41 canton, espère ainsi recevoir au moins 3 millions de francs l'année prochaine. Outre la taxe
42 professionnelle, la présence de la centrale a des conséquences économiques non
43 négligeables pour la région. D'abord en termes d'emplois puisque, selon le maire de
44 Morestel, Théodore Durand, 1 200 personnes travaillent de façon plus ou moins directe
45 pour la centrale nucléaire. Depuis la construction de Superphénix, Morestel est devenu
46 une petite ville prospère avec plus de 100 commerces pour 3 600 habitants. «Nous avons pu
47 attirer deux cents familles ayant des revenus élevés», se réjouit le maire, qui a, semble-t-il,
48 convaincu la majorité de ses concitoyens des bienfaits de la centrale. «Si elle ferme, c'est la
49 moitié de Morestel qui s'en va», explique une jeune Morestelloise. Comme beaucoup, elle
50 se réjouit de la remise en marche du surgénérateur. Sa mère, qui tient une boutique de
51 vêtements, s'est battue contre la construction de Superphénix. Elle estime aujourd'hui que
52 la centrale «fait marcher le commerce».
853     Et les risques? Ces Morestellois disent «ne pas avoir peur». Et surtout, ils préfèrent
54 «ne pas y penser».
 
     Vanessa Schneider; dans «Libération» du 6-7 août 1994


noot 1: le surgénérateur = de opwerkingsfabriek