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Raï et rap pour un festival de jeunes à Alger


Ils étaient deux à trois mille la semaine dernière à la fête de RAJ. Une association rassemblant des garçons et des filles d'Alger, Oran et Constantine qui veulent donner de leur pays une autre image que celle de la violence.

11     «Il n'y a pas seulement des larmes et du sang dans ce pays. Nous voulons que les
2 gens le sachent, surtout les jeunes afin qu'ils soient conscients de leurs responsabilités et
3 de leurs droits.» Dans une Algérie où la violence seule semble faire la loi, Dalila, Hakim,
4 mais aussi beaucoup d'autres jeunes Algériens regroupés dans l'association RAJ
5 (Rassemblement, Actions, Jeunesse) font de leur mieux pour faire de cette déclaration une
6 réalité.
27     La majorité des jeunes de RAJ ont entre 18 et 26 ans. Dans leur local du quartier «la
8 Redoute» à Alger, une trentaine de jeunes s'activent. Les uns préparent une exposition, les
9 autres sont au téléphone ou rédigent un document. Ambiance fraternelle. Des garçons et
10 des filles entre 16 et 26 ans, vont, viennent, discutent, travaillent. Une des filles fume. Une
11 autre qui porte le hidjeb ¹ écrit une affiche.
312     «Depuis notre création, nous avons fait au moins une activité par mois, nous sommes
13 connus dans les quartiers populaires de Babel Oued jusqu'à Bachdjarrah», dit Hakim.
14 L'association qui se manifeste dans les quartiers et les lycées d'Alger, Oran et Constantine
15 et qui édite un petit journal intitulé Vie-RAJ, a fait une campagne de sensibilisation sur le
16 thème du sida ², du diabète, une autre pour collecter du sang pour les blessés bosniaques,
17 tandis qu'une commission juridique informe les jeunes sur leurs droits.
418     Mais RAJ peut aussi être fier d'avoir réussi à organiser deux festivals d'octobre, en
19 1993 et en 1994. Cette année cela n'a pas été sans mal: le Wali (préfet) avait d'abord
20 interdit le festival à la place des Martyrs, tout près de la Casbah. «Le pays est en état
21 d'urgence», avait-il expliqué aux organisateurs, qui avaient répondu qu’ils n'avaient pas
22 d'argent pour payer la location d'une salle, mais qu'ils ne renonceraient pas pour autant à
23 leur festival. Cette détermination a conduit le préfet - qui avait refusé de les recevoir - à
24 leur offrir le théâtre de plein air.
525     Alors que l'explosion de six voitures où l'on avait placé des bombes dans différents
26 quartiers de la capitale avait créé une véritable panique, quelque 2 000 à 3 000 jeunes - de
27 10 à 30 ans - ont dansé tout l'après-midi, jeudi dernier, au théâtre de plein air à Alger.
628     Quelques-uns accompagnés de leurs parents, mais la majorité, venant des milieux
29 modestes, est venue seule. Les participants ont dansé aux rythmes du chaabi, du raï et du
30 rap, pendant que quelques couples s'embrassaient et que la distribution de quelque 2 000
31 livres - un don de l'étranger - provoquait de belles bousculades dans les stands. Dalila,
32 entre deux chanteurs, a pris le micro pour expliquer le pourquoi de ce festival. Sans
33 transition, Mohammed Reda, une star locale de rap, âgé de 21 ans, a commencé son tour
34 de chant en demandant une minute de silence à la mémoire de Cheb Hasni, le chanteur de
35 raï assassiné à Oran le 29 septembre. Au total, il y aura bien eu quelques bagarres
36 provoquées par des jeunes un peu excités, mais, contenus par le service d'ordre de RAJ, ils
37 n'ont, à aucun moment, interrompu la musique.
738     En quoi RAJ est-il différent des autres associations de jeunes ou d'étudiants?
39 Hakim explique que RAJ, c'est un lieu d'apprentissage de la «différence», «Il y avait des
40 jeunes de Bachdjarrah (un des quartiers islamites de la banlieue d’Alger) qui
41 n'admettaient pas qu'une fille fume dans une réunion. Maintenant, après discussions, ils
42 l'admettent. Comme ils acceptent de partager des moments de travail ou de joie avec des
43 filles auxquelles ils niaient le droit à l'expression. L'un d'entre eux s'opposait à ce qu'on
44 aille distribuer des préservatifs ³ dans les lycées, sous prétexte que c'était contre la
45 religion. Une fois, on l'a amené voir des malades du sida dans un hôpital, il a fini par en
46 distribuer lui-même.»
847     Pour RAJ, le message est simple: «Les jeunes immigrés en France et les Français
48 doivent savoir qu’en Algérie il y a des jeunes qui bougent, qui créent, qui espèrent. Quand
49 les dirigeants français déclarent vouloir 'aider le peuple algérien', ils doivent être
50 conséquents. Des jeunes de RAJ ont par exemple été invités par des associations
51 françaises: ils n'arrivent pas à obtenir un visa ... Je ne dis pas qu'il faut supprimer le visa,
52 mais il devient pratiquement impossible d'en avoir un.»
 
     d'après Tahar Mejdoub, dans «Libération» du 21 octobre 1994


noot 1: le hidjeb = de hoofddoek
noot 2: sida = aids
noot 3: le préservatif = het condoom