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Un homme sans domicile fixe: Marc, vendeur du Réverbère

Un homme sans domicile fixe: Marc, vendeur du Réverbère


11     «'Mesdames, messieurs, bonjour! Voici le dernier numéro de Réverbère, le journal
2 des SDF4).' J'entre dans le wagon, les regards fuient, les gens plongent la tête dans leur
3 journal. Le pire, ce sont ceux qui pour vous éviter, changent de wagon. Je sais bien que les
4 gens sont trop occupés, mais j'aimerais les voir à notre place. Moi, en plus, je suis assez
5 [id:66685]. Et quand les gens sentent votre stress, vous êtes sûr de faire une mauvaise vente.
26     La première fois que je suis descendu dans le métro, je n'arrivais même pas à parier.
7 Je montais dans la rame, la gorge serrée, impossible de [id:66686]. Je redescendais aussitôt.
8 Je suis resté quatre heures, comme ça, assis à la station Père-Lachaise jusqu' à ce qu’ 'une
9 demoiselle vienne me demander, au raz de mon nez: 'Vous le vendez votre journal?'
310     On n'arrive pas à fidéliser les gens: ils achètent une fois, ils ont fait leur bonne
11 action, et puis c'est terminé. Quand vous avez fait quatre rames - donc vingt wagons,
12 disons 800 personnes - et que vous n'avez vendu que deux journaux, ça vous fiche le moral
13 à zéro. Dans ces cas-là, je m'arrête, je fume une dope sur le quai ou je discute avec des
14 collègues. Entre vendeurs, c'est chacun pour soi. On travaille jamais à deux, on se raconte
15 rarement nos soucis. Quand vous êtes dans la misère, [id:66687], ça n'existe pas.
416     Jamais je n'aurais imaginé tomber si bas. Il y a deux ans. J’avais encore une bonne
17 situation, je travaillais dans un restaurant, chez des gens que je connaissais. Il y a eu des
18 problèmes. Je suis parti. Au bout de quelque temps. J’ai dû de mander de l'argent dans la
19 me. Une petite boîte en carton à mes pieds, la tête baissée.je parlais à personne.je m' étais
20 enfermé dans mon cocon. Je dormais dans les jardins, [id:66688] j'ai toujours été propre,
21 c'est important. J'ai jamais touché à la drogue.
522     En un an. J’ai dû manger seulement trois ou quatre repas chauds. Aucun commerçant
23 ne m'a donné quelque chose. Si, un seul, le marchand de pizzas. .. Vous trouvez ça digne,
24 vous? Le Français est [id:66689] , il ne pense qu'à lui. Ou moment qu'il a sa tél é, sa voiture
25 et ses petites vacances. Il réagit seulement quand ça commence à le toucher. Moi, avant,
26 j'étais pareil.
627     Quand j' étais jeune, je voulais être aviateur ou missionnaire, j'ai toujours eu envie de
28 partir. A 12-13 ans.je fuguais toujours. Les flics m'ont [id:66690] une fois après cinq jours
29 de vagabondage: je voulais prendre l'avion avec des copains!
730     A 22 ans, en débarquant à Paris, j’ai fait tous les petits boulots possibles et
31 imaginables: garçon de café, vendeur sur les marchés, les foires expo, dans les assurances ...
32 J 'étais un gros travailleur, je bossais dur, et puis je m'arrêtais plusieurs mois pour [id:66691]
33 Deauville, Trouville, la liberté. J'ai jamais aimé être tenu en laisse.
834     Je n'ai jamais trouvé une femme qui me comprenne, peut-être parce que je suis trop
35 direct. Avec moi, c'est à prendre ou à laisser. Je ne parle pas souvent de ça, mais j'ai deux
36 visages: à l'intérieur, je suis sensible, j'ai envie d'être câline, d'être au chaud. Si j'avais eu
37 une maison, des enfants... J'ai toujours été un solitaire, mais je rêve aussi [id:66692]
938     Avec [id:66693] ,j'ai repris un peu de courage. Ça m'a permis de louer une chambre
39 d'hôtel. IJ faut que je vende vingt journaux, tous les jours, pour payer les 130 francs. En
40 général il me reste un peu d'argent pour acheter un paquet de cigarettes et l'Equipe.
1041     L'ennui, c'est quand je ne peux pas travailler: j'ai dû m'arrêter deux fois cinq jours,
42 cloué au lit, à cause d'une tendinite. Dans ces cas-là, si on n'a pas mis un peu d'argent de
43 côté, on [id:66694] de retomber.
1144     Ce que j'aimerais, c'est trouver une petite chambre à 400 francs par mois, avec un
45 petit coin cuisine, je ne demande pas grand-chose. Et surtout, un travail, n'importe quoi. Je
46 suis prêt à aller n'importe où, Mais, en un an, personne ne m'a proposé un seul boulot.
47 Pour moi, j’ai peur qu'il soit trop tard.
1248     Quand on parle des SDF à la télé, j’éteins. La télévision nous abrutit, je ne veux
49 même plus voir les actualités. D'ailleurs, l'été , on ne parle jamais de nous. De mars à
50 septembre, silence total. Pourtant, c'est beaucoup plus [id:66695] en août. Depuis le début
51 des vacances, je vends moitié moins de journaux.
1352     J'ai l'impression que person ne veut nous écouter. C'est [id:66696] totale. Ce qu'il
53 nous faudrait, c'est quelqu'un qui essaierait de nous comprendre avant de no us juger.»

d'après Thierry Leclère, dans «Télérama» du 24 août 1994