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La femme est l'avenir du Japonais

11     Les femmes ont dix ou onze ans d'avance. C'est la conclusion des équipes de
2 sondeurs d'opinion japonais. Depuis le début des enquêtes sur les valeurs des Japonais,
3 dans les années 60, les hommes ont toujours adopté avec retard l'opinion des femmes sur
4 l'amour, la famille, l'éducation des enfants...
25     Aujourd'hui comme hier, les destins respectifs des Japonais et des Japonaises ont
6 peu en commun. Enfermé dans le monde rigide de l'entreprise, le salarié moyen est
7 victime des exigences de sa fonction. A part les sorties avec les collègues, il ne semble
8 s'intéresser qu'aux résultats sportifs et aux manga, ces bandes dessinées plus ou moins
9 pornographiques. Dans le métro ou le train qui l'amène à son boulot, il dort. Souvent, sa
10 propre femme le trouve grossier, sans esprit, presque pitoyable. Il y a vingt ans, le
11 stéréotype mâle, celui qui rentre à la maison en criant: «Meshi! furo! neru!» («Le repas! le
12 bain! le lit!»), faisait encore peur. Désormais, on le trouve ennuyeux.
313     Qu'elles travaillent ou qu'elles restent au foyer, les femmes au contraire cherchent le
14 développement intellectuel, physique... et matériel. Responsables de la totalité des
15 finances du ménage, elles remettent au mari 15% de son salaire: le kosukai, l'argent de
16 poche pour ses dépenses personnelles... Prenant en charge l'éducation des enfants et
17 l'organisation de la vie familiale, elles trouvent encore le temps de militer dans des
18 associations de quartier, de sortir avec des copines, d'apprendre la danse moderne ou de
19 jouer au tennis de table. L'abondance les a sorties de leur rôle de femmes soumises,
20 attendant dans leur lointaine banlieue le retour tardif d'un mari épuisé. La «kitchen
21 drinker» qui boit à la maison pour chasser son ennui a laissé la place à la voyageuse
22 partant à l'étranger avec son club d'amies.
423     L'amour? Le plus souvent le mariage est arrangé par la famille. Les grands
24 sentiments, quand ils existent, sont l'affaire des célibataires. Ils seraient d'ailleurs difficiles
25 à cultiver dans le tout petit appartement que la famille partage avec la belle-mère. Du
26 moment que le mari n'a pas de petite amie, que les études des gosses se déroulent sans
27 problèmes et que la famille n'est pas endettée, une certaine forme de bonheur est atteinte.
28 Au mieux, un vague sentiment de tendresse, qui ne s'exprime jamais en public, peut naître.
29 Au pis, une indifférence totale domine. Les mariages d'amour et les divorces sont
30 beaucoup plus rares qu'en Occident, mais augmentent quand même. La plupart des
31 rencontres entre futurs époux sont encore «arrangées», Le principe de réalité est le
32 suivant: les futurs maris travaillant chez les grands noms de l'industrie sont ennuyeux, mais
33 leur porte-monnaie est toujours rempli. Beaucoup de femmes mettent donc l'argent en
34 tête de liste des motifs conduisant au choix d'un mari. La sécurité avant tout!
535     Le changement? Les étudiants sortent plus volontiers en bandes mixtes, et les jeunes
36 couples dînent une fois par semaine en tête à tête au restaurant. Le «grand amour»
37 importé d'Occident constitue un modèle romantique qui fait rêver les adolescents. Le
38 début d'un nouveau contrat amoureux? Peut-être. Jusqu'ici, pourtant, les jeunes, dont on a
39 cru qu’ils révolutionneraient la société japonaise, vivent en conformité avec le système. Les
40 jeunes femmes sortent toujours beaucoup plus tôt du bureau, et la tournée des bars reste
41 une habitude presque exclusivement masculine. Les occasions manquent pour se
42 rencontrer, pour discuter, pour échanger ses expériences, pour s'aimer. Toute passion
43 naissante est immédiatement noyée dans un océan de règles sociales. Les hommes et les
44 femmes vivent dans deux mondes différents.
645     Dix ans d'avance. Les femmes japonaises devront attendre le prochain millénaire
46 pour que les hommes aient aussi à la bouche un petit goût de liberté. Si la société et le
47 travaille permettent. ..
 
     Patrice Piquard, dans «L'Evénement du jeudi» du 6 au 12 août 1992