1 | 1 | | Aéroport Roissy-Charles de Gaulle, hier à 14h. Derrière la porte 34, d'où vont sortir |
| 2 | | les passagers du vol 143 d'Air India, se trouve Jean-Christophe Lafaille. Enfin, Véronique |
| 3 | | n'a plus que quelques secondes à patienter pour retrouver son mari, guide de haute |
| 4 | | montagne, seul survivant du drame de l'Annapurna. Retrouvailles. Enfin réunis. Seuls. Ces |
| 5 | | quelques instants leur appartiennent. Jean-Christophe est là, son bras en écharpe, le visage |
| 6 | | marqué de son retour de l'enfer himalayen. |
2 | 7 | | Pierre Béghin, ingénieur grenoblois, qui avait déjà fait l'ascension de cinq montagnes |
| 8 | | de 8 000 m est resté là-bas. Car Pierre, lui, a trouvé la mort, quelque part dans cette |
| 9 | | maudite face sud de ce «8 000 m», Cette terrible image, celle de son ami qui part à la |
| 10 | | rencontre de la «mort blanche», Jean-Christophe la gardera pour toujours. Dans son avion |
| 11 | | qui le ramenait hier en France, il revoit mentalement les images de [id:46073]. |
3 | 12 | | Après qu'il a retrouvé sa femme, Jean-Christophe raconte: «On est parti pour la |
| 13 | | montée dans la nuit du 7 au 8 octobre. Mais le 9, le mauvais temps était là. C'était |
| 14 | | impossible de continuer.» Les deux grimpeurs ont alors décidé [id:46074].Après quelques |
| 15 | | mètres, ils doivent placer un piton1, dans un endroit difficile, à 7 200 m. |
4 | 16 | | Le piton fixé et la corde attachée, Pierre Béghin laisse un sac à Jean-Christophe |
| 17 | | Lafaille pour perdre [id:46075].Sur une dizaine de mètres, tout va bien: la pente n'est pas si |
| 18 | | raide2, Mais, plus bas, Pierre arrive dans un couloir vertical. Tout son poids pèse sur le |
| 19 | | piton. Le piton commence à bouger. De plus en plus. Et saute, sous les yeux de Jean- |
| 20 | | Christophe. Pierre disparaît pour toujours, entraînant la corde avec lui dans sa chute de |
| 21 | | plus de 1 000 mètres. |
5 | 22 | | Jean-Christophe reste [id:46076].Sans eau, sans nourriture, ou presque. Il ne dispose |
| 23 | | que d'un bout de corde d'une vingtaine de mètres. C'est donc par petites longueurs de 10 |
| 24 | | mètres qu'il commence sa terrible [id:46077]. Le lendemain, à travers les nuages, des |
| 25 | | grimpeurs slovènes l'aperçoivent vers 6 900 m. lis [id:46078] la situation, donnent l'alerte |
| 26 | | et demandent des hélicoptères, sans fournir plus d'explications. |
6 | 27 | | Là-haut, Jean-Christophe continue à descendre et approche du bivouac installé avec |
| 28 | | Pierre quelques jours avant, à l'abri d'un rocher. «J’étais à 10 mètres du bivouac quand |
| 29 | | une énorme pierre [id:46079].J'ai pas eu le temps de la voir et elle m'a cassé le bras droit. |
| 30 | | J'aurais pu la prendre en pleine tête, c'est fou! Elle aurait pu me tuer. Il me restait 10 m à |
| 31 | | faire pour [id:46080] et elle m'est tombée dessus. l'en avais assez.» |
7 | 32 | | Pour lui, les deux derniers jours furent les plus durs, d'autant plus que les Slovènes, |
| 33 | | qu'il savait proches, plus bas, [id:46081] monter le chercher, à cause des chutes de pierres. |
8 | 34 | | «Avec mon bras cassé, je suis redescendu jusqu'au camp de base, à 4100 m. l'en |
| 35 | | pouvais plus. Je ne savais plus où j'étais... Le médecin des Slovènes m'a fait une piqûre de |
| 36 | | calmant. Et on a attendu les secours. Un jour, un hélico s'est approché très près du camp. |
| 37 | | On l'entendait, seulement. Il devait être à deux ou trois minutes. On s'est préparé pour |
| 38 | | sortir, mais le bruit [id:46082] ... » L'hélicoptère n'a pas pu atterrir à cause du mauvais |
| 39 | | temps. Il fallut attendre dimanche pour ramener Jean-Christophe qui a annoncé la terrible |
| 40 | | nouvelle... |
9 | 41 | | Après quoi tout est allé très vite puisque Jean-Christophe a pris l'avion le soir même |
| 42 | | pour [id:46083], via Delhi où il a encore dû attendre une nuit. |
10 | 43 | | A présent, à Gap, il ne restera plus au guide qu'à récupérer l'usage de son bras, avant |
| 44 | | [id:46084] la montagne: le Mont-Blanc, l'Himalaya. C'est son métier, sa vie, sa passion. Avec |
| 45 | | ses joies et avec ses risques. |
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| | | Alain Roux, dans «Le Dauphiné Libéré» du 21 octobre 1992 |