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L'école de la nuit

11     Une blonde ravissante sur les genoux et un cocktail à la main. Quant à la
2 programmation, ils se contentent de présenter les derniers succès entendus à la radio. Telle
3 a longtemps été l'image des disc-jockeys (DJ). Mais la douce époque de l'amateurisme est
4 bel et bien passée. Désormais, les exploitants de discothèques n'ont plus qu’un mot à la
5 bouche: professionnalisme.
26     Si, dans les années 70, les boîtes de nuit ont connu une très forte fréquentation, elles
7 n'enregistrent plus depuis trois ou quatre ans que 60 millions d'entrées l'an, et leur chiffre
8 d'affaires a diminué en 1991 d'environ 20%. Cet automne, les professionnels de la nuit ont
9 donc décidé de prendre le taureau par les cornes. A l'initiative de la Confédération
10 française des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et discothèques (CFHRCD) un institut de
11 formation aux métiers de la nuit vient d'être créé.
312     Jusqu'à présent, il n'existait aucune formation spécifique aux métiers de la
13 discothèque: exploitants, disc-jockeys et barmen. Il y a quelques années, quelques DJ
14 réputés avaient bien tenté de créer des cours, mais aucun n'a survécu. Il est vrai que les
15 apprentis barmen peuvent faire l'école hôtelière, mais ils doivent suivre au minimum deux
16 années de formation générale avant de se spécialiser comme barman. Un cursus un peu
17 long pour une activité souvent exercée en complément d'un autre travail pour pouvoir
18 s'offrir quelques extra.
419     Résultat: ils ne savent pas toujours mélanger deux alcools. «Faire des cocktails est
20 une profession, explique Yves Bougeard, un des fondateurs de l'institut de formation. Il
21 faut aussi savoir écouter le client et savoir quelle boisson lui conseiller.» Pour les DJ, c'est
22 la même chose: «Leur culture musicale est parfois un peu limitée; ils ne savent pas choisir
23 une musique qui plaît à un public de quarante ans. Mais les disc-jockeys n'ont plus droit à
24 l'amateurisme. Il leur faut avoir la pleine responsabilité de leur matériel et savoir animer
25 une soirée. Sinon, cette profession mourra. Les DJ seront remplacés par des juke-boxes
26 très perfectionnés, avec toute la programmation musicale de la soirée en mémoire.»
527     Une autre ambition du nouvel institut: transformer les patrons de discothèque en
28 chefs d'entreprise du vingt et unième siècle. «Parmi les 3 700 discothèques qui existent
29 actuellement, à peine 2 500 survivront dans les cinq ans, affirme Yves Bougeard. Seuls les
30 vrais professionnels s'en tireront. Près de 52% des discothèques qui se créent disparaissent
31 au bout de cinq ans. Les trois quarts des gens qui montent une discothèque ont fait un
32 héritage ou vendu leur petit commerce et pensent qu'ils vont gagner de l'argent en
33 s'amusant. Ils n'ont aucune idée de la façon dont on dirige une boîte de nuit. Aujourd'hui,
34 un patron de discothèque doit être un véritable chef d'entreprise et un professionnel des
35 relations humaines. Et pour l'instant c'est encore très rarement le cas.»
636     Quant à la formation des DJ et des barmen, qui commence bientôt, les deux
37 fondateurs de l'institut (Yves Bougeard et Jean-Claude David) n'emploieront que des
38 professionnels, comme des animateurs de radio et des DJ réputés. Leur objectif est
39 ambitieux: former en cinq ans 8 000 des 30000 personnes qui exercent main tenant un de
40 ces métiers de la nuit. L'institut organisera la formation sous forme de stages de deux à
41 cinq jours qui se dérouleront dans des discothèques de Paris ou Cap-d'Agde, ou encore à
42 l'école hôtelière d'Ecully, près de Lyon.
743     Les DJ qui s'estiment souvent les «meilleurs sur le marché» et ont «tout appris dans
44 la pratique» ne se presseront peut-être pas aux portes de l'institut, surtout parce qu'ils
45 n'exercent souvent ce métier que quelques années. «On ne trouvera pas de DJ vraiment
46 motivés pour suivre ces stages», estime-t-on au Syndicat national des discothèques. Philip
47 Cabal, champion d'Europe des DJ en 1981, est sceptique: «On peut évidemment
48 progresser en culture musicale et en technique, mais le sens de l'animation, cela ne
49 s'apprend pas. On naît avec.»
 
     Pascale Krémer, dans «Le Monde» du 30 septembre 1992