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Mais qu'est-ce qui les fait partir?

Depuis deux ans, une vingtaine de volontaires de Médecins sans Frontières (MSF) - médecins, infirmières, techniciens - sont admis au Cambodge. Deux d'entre eux ont confié au «Nouvel Observateurs les raisons de leur engagement.

11     «'Si tu l'en vas, tu vas tuer ta mère': c'est ce que mon père m'a dit lorsque je lui ai
2 annoncé que j'avais l'intention de partir avec MSF. C'était en 1983. Aujourd'hui, j'en suis à
3 ma quatrième mission et ma mère va très bien.» Isabelle Fournier, 34 ans, est la
4 coordinatrice de Médecins sans Frontières au Cambodge, à Phnom Penh, où elle a ouvert
5 un centre de MSF, en 1989. En principe, son contrat se termine en janvier prochain. Elle a
6 déjà décidé qu'elle resterait encore un an. Mais elle abandonnera ses fonctions de
7 coordinatrice pour redevenir médecin de terrain. «Je sais que c'est assez inhabituel, mais
8 après deux ans dans mon bureau de Phnom Penh, j'ai besoin de refaire de la médecine, de
9 parler avec les gens, de comprendre.»
210     Ce peuple si doux et si cruel l'intrigue, la passionne. C'est la tragédie du Cambodge
11 qui a poussé Isabelle Fournier vers MSF, alors qu'elle était encore étudiante en médecine
12 à Dijon. «J'ai même vendu des cartes postales dans les couloirs de la faculté au profit du
13 Cambodge. Je voulais comprendre pourquoi les Cambodgiens ne s'étaient pas révoltés. Je
14 me disais que dès que mes études seraient finies, je partirais.
315     A Paris, je passais souvent boulevard Saint-Marcel, devant le bureau de MSF. Un
16 jour, je suis entrée. J'ai dit que j'avais envie de partir tout de suite. lis m'ont demandé de
17 reprendre contact avec eux lorsque j'aurais terminé mes études. Je suis rentrée à Dijon,
18 très déçue. Deux ans plus tard, ils m'ont rappelée: 'Tu veux toujours partir?' Et je suis
19 partie tout de suite. D'abord pour le Cambodge, puis en Ouganda. En novembre 1989, on
20 m'a proposé un poste de coordinatrice à Phnom Penh.» Pour l’instant, Isabelle dirige,
21 depuis son bureau de la rue 51 de Phnom Penh, une vingtaine de personnes. «Pour moi, il
22 n'y a pas d'hésitation. MSF a les moyens techniques et humains d'aider ce pays à sortir de
23 la détresse. Il faut le faire. L'argent, no us le trouverons...»
424     Avec ses bermudas de jean, ses tee-shirts extravagants et sa minuscule moto jaune,
25 Bernard Merklen, le technicien de l'hôpital de Battambang, ressemble à un joueur de
26 Rugby en vacances, perdu dans la misère cambodgienne. En réalité, ce garçon aventureux,
27 qui a été successivement bûcheron, antiquaire, moniteur de canoë-kayak et marchand de
28 tableaux, avant de devenir, pour MSF, expert en sanitation, comptable, mécano, architecte
29 et chef de chantier, est un passionné qui se donne à fond.
530     «J'ai besoin d'être libre. Autonome. Je n'ai même pas attendu de passer le bac pour
31 quitter le lycée. J'explosais. J'ai cherché mon chemin pendant six ans, en faisant des petits
32 boulots. J'étais bon à rien, prêt à tout. L'argent ne m'intéressait pas. Un jour, mon père,
33 qui avait tout compris, m'a donné l'idée de proposer mes services à une organisation
34 humanitaire. J'ai pris l’annuaire et j'ai appelé tout le monde. A MSF, j'ai eu du succès.
35 C'était en 1986.
636     Après un stage d'une semaine, je suis parti au Soudan pour six mois. J'ai construit
37 dix centres médicaux, commencé à aménager un local de soins pour les femmes et les
38 enfants. Je me suis donné à fond. Ces milliers de gens sous-alimentés, épuisés, ces gamins
39 qui ne tenaient pas debout... Jamais je n'avais vu tant de misère. Le retour en France a été
40 très dur. Après une mission d'évaluation à Sri Lanka, on m'a proposé le Cambodge. J'ai
41 accepté tout de suite. J'avais envie depuis longtemps de vivre en Asie du Sud-Est. Je
42 travaille pour MSF depuis cinq ans, mais, au fond, mes motivations restent assez égoïstes,
43 Je ne suis pas là pour sauver des gens, c'est d'abord la liberté que je cherche. Je ne me sens
44 pas lié à une seule organisation. Je suis ici avec MSF, parce qu'ils sont sérieux, parce qu'ils
45 me dorment les moyens de bien faire mon travail, mais je peux changer d'organisation
46 demain.»
 
     «Le Nouvel Observateur» du 14 au 20 novembre 1991