1 | 1 | | Il y a six ans, en octobre 1981, Lech Walesa a visité la France. A ce moment-là, |
| 2 | | Mitterrand et Mauroy1 gouvernaient le pays. Yves Montand chantait au music-hall de |
| 3 | | l'Olympia, et tous les syndicats français réunis accueillaient Walesa dans la joie à Paris. |
2 | 4 | | Dans l'autobiographie qu’il a publiée cette semaine aux éditions Fayard, le leader |
| 5 | | de Solidarité dit bien ce que lui ont apporté à cette époque Edmond Maire et les autres |
| 6 | | dirigeants des syndicats français. Mais qui aime bien châtie2 bien. Et aussitôt après, |
| 7 | | Walesa ajoute ce propos sévère pour l'ensemble de nos syndicats: «En Occident aussi la |
| 8 | | solidarité apparaît comme un besoin ressenti. Trop sou vent les syndicats soutiennent les |
| 9 | | intérêts des partis politiques dont ils constituent la base, aux dépens parfois des citoyens |
| 10 | | ordinaires, qui sont écrasés par le poids des institutions sociales, parmi lesquelles les |
| 11 | | syndicats eux-mêmes.» |
3 | 12 | | Courage, lucidité, franchise, on a trouvé tout cela à «Apostrophes» vendredi soir, |
| 13 | | dans l'interview de Walesa qu e Bernard Pivot a réussi à filmer, en janvier dernier, à l’insu |
| 14 | | du gouvernement polonais. C'était près de Gdansk, dans un lieu où l'Eglise a assez de |
| 15 | | puissance pour en empêcher l'accès aux miliciens. Joli coup de la presse, et utile secret, |
| 16 | | quand on sait que l'Etat polonais vient d'interdire le séjour de Walesa en Italie, sous |
| 17 | | prétexte que son entreprise a besoin d'un électricien et ne peut se passer de lui! |
4 | 18 | | En octobre 1981, Edmond Maire m'avait annoncé l'arrivée prochaine en France de |
| 19 | | Walesa, son invité. Et comme je m'inquiétais du programme proposé, trop riche à mon |
| 20 | | avis en visites d'usines et d'ateliers, mais trop maigre en revanche en flâneries dans Paris, |
| 21 | | Maire m'indiqua que son syndicat ne s'était pas chargé d'animer les soirées du leader de |
| 22 | | Solidarité. |
| 23 | | - Pourquoi ne l'emmenez-vous pas, lui dis-je, entendre Yves Montand à l'Olympia? |
| 24 | | - Mais il nous faudrait dix billets, et on joue à bureaux fermés3! |
5 | 25 | | Le temps de courir place Dauphine, chez M. et Mme Montand-Signoret, et voilà, |
| 26 | | Walesa avait ses dix places. Mieux encore, il verrait de ses propres yeux la banderole que |
| 27 | | Montand, après sa dernière chanson, faisait descendre chaque soir sous les |
| 28 | | applaudissements du peuple de Paris: «Solidarnosc». |
6 | 29 | | Dans son autobiographie, Lech Walesa écrit aujourd'hui: «A Paris, je ne pus |
| 30 | | admirer la Seine qu'une fois, à l'occasion d'une promenade en bateau-mouche, et je n'eus |
| 31 | | droit qu'à une seule soirée de divertissement à l'Olympia, à l'invitation de Simone |
| 32 | | Signoret et d'Yves Montand, avec qui je pus bavarder autour d'une coupe de |
| 33 | | champagne.» Cette seule phrase me réjouit. |
7 | 34 | | Plus tard, lorsque le général Jaruzelski4) est venu à Paris, les autorités lui ont |
| 35 | | organisé, à lui aussi, une promenade en bateau sur la Seine. Mais Simone Signoret n'était |
| 36 | | plus là. Quant à Yves Montand, il manifestait contre lui aux Invalides, en compagnie |
| 37 | | d'Edmond Maire. |
8 | 38 | | On ne dira jamais assez ce que sont les fidélités de l'artiste et du syndicaliste. On ne |
| 39 | | dira jamais assez non plus que, parmi les bonnes idées de Bernard Pivot, fut excellente |
| 40 | | celle de les inviter tous les deux à venir au studio pour commenter l'interview avec Walesa. |