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Le chien des villes

Le chien des villes

11     Un grand amateur de chiens a déclaré récemment: «Pour un citadin privé de
2 nature, un chien, c'est en quelque sorte un besoin écologique.» Tous les citadins ne
3 partagent pas cette opinion. Pour certaines personnes, en ville, les «envahisseurs», ce ne
4 sont pas les auto mobiles, ce sont les chiens. Le bruit des voitures, les odeurs qu’elles
5 dégagent, les dangers qu'elles représentent, les encombrements qu'elles provoquent, cela
6 ne gêne pas Monsieur Tout-le-Monde. En revanche, les chiens lui paraissent un danger
7 public.
28     L'accroissement de la population canine est un fait. Mais les dommages que ces
9 chiens occasionnent ne sont pas comparables à ceux des automobiles ou, plus
10 généralement, de la société industrielle qui a transformé nos fleuves et nos rivières en
11 égouts. Il faut reconnaître pourtant que trop de maîtres de chiens n'ont aucun souci de la
12 propreté des trottoirs. Inutile d'observer que jusqu'aux années trente, le crottin des
13 chevaux était plus abondant dans les rues que les crottes de chien aujourd'hui: cela
14 n'enlève rien au désagrément de marcher sur «ça» et même de risquer de se casser le
15 coude ou le col du femur1 en glissant dessus et en tombant. A en croire certaines
16 personnes, il faudrait, dans certaines rues, «faire du slalom entre les crottes».
17 Heureusement, la grande majorité des citadins peut certifier que l'on n'en est pas là dans
18 leur quartier. Mais enfin les maîtres de chiens, s'ils aiment vraiment leur animal,
19 devraient veiller à retirer à Monsieur Tout-le-Monde ses bonnes raisons de se plaindre de
20 la saleté des trottoirs.
321     Certains chiens sont élevés pour être offensifs. Chacun de nous a vu sur le grillage
22 d'un jardin l'écriteau «chien méchant». D'après les statistiques, dix pour cent des chiens
23 de l'agglomération parisienne auraient été choisis comme chiens de garde. Ces bêtes-là -
24 que l'on ne peut s'empêcher de plaindre - ne sont pas promenées dans les rues. Si elles le
25 sont, c'est attachées et leur allure fait que l'on n'éprouve pas l'envie de s'en approcher.
26 On devrait évidemment interdire de dresser des chiens pour l'attaque, mais on se livre à
27 un tel dressage dans l'armée et dans la gendarmerie. Claude Sarraute a parlé récemment,
28 dans Le Monde. de bêtes revenues ou plutôt ramenées à l’état sauvage par leurs maîtres.
29 Des «maîtres-chiens». Elle décrit ensuite le métier de facteur comme «un sale et
30 dangereux boulot»: «Déposer une lettre dans une boîte en banlieue, c'est y laisser, une
31 fois sur deux, un bon morceau de son pantalon.» Cette façon de s'exprimer - en ne
32 craignant pas les exagérations - est typique des gens qui ont peur des chiens ou ne les
33 aiment pas. Pourtant, Claude Sarraute aime les chiens. Ce qu'elle regrette, et moi avec
34 elle, c'est qu'il existe des maîtres qui rendent méchants les chiens qu'ils adoptent.
435     Grâce au ciel, l'immense majorité des chiens parisiens, 85%, ont été adoptés pour
36 leur seul agrément. Convenablement traités, ils ne songent certainement pas à mordre. Ni
37 à trop aboyer.

«Lire», janvier 1985

noot 1: le fémur = het dijbeen