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Il y avait de la musique

IL Y AVAIT DE LA MUSIQUE...

   J'ai vécu au Canada et aux Etats-Unis avec mes enfants. Au départ des rencontres intéressantes
il y avait toujours la même chose: la musique. Que ce soit une chanson de folk grattée sur une
guitare ou un banjo dans la nuit chaude du lac Huron, ou un disque de Jimmy Hendrix qui tourne
sur un électrophone de New York ou de Montréal.
5   Au cours d'un été nous campions au bord d'un lac canadien. La nuit était tombée, nous avions
dîné. Nous étions neuf en tout : six adolescents, Jean-Pierre* , moi et Dorothée* qui avait douze
ans. J'avais sommeil. Je les ai laissés autour du feu et je suis allée sous la tente. Pendant que je
me préparais à me coucher j'ai entendu une pétarade formidable. Nous campions dans le creux
d'une grande dune de sable qui descendait jusqu'à l'eau. Je suis sortie et j'ai vu un spectacle
10incroyable: trois puissantes motocyclettes qui absorbaient la pente raide de la dune dans des
geysers de sable et un cataclysme de bruit. La panique m'a prise. Je croyais que c'était la police
qui venait faire éteindre notre feu, ou Dieu sait quoi. Quand on vit de l'autre côté de l'Océan on
se rend compte qu'Easy Rider** ce n'est pas une invention et ça fait peur. Les motos se sont
arrêtées à dix mètres de notre campement. Ce n'était pas la police mais trois très jeunes hommes,
15dans les vingt-deux ans, secs , habillés de cuir noir, avec de gros dessins colorés sur leurs blousons.
Les machines étaient magnifiques, les flammes faisaient briller leurs chromes par éclats. Les
garçons étaient effrayants, dangereux, les yeux froids dans des visages entourés de casques et
de mentonnières. J'étais en retrait, je voyais la scène. Je m'attendais au pire. Les enfants sentant
le danger, leurs pensées probablement pleines des récits quotidiens de la violence américaine,
20s'étaient levés. lis restaient immobiles. Jean-Pierre avait fait un pas vers eux.
"Hello, good evening."
   Pas de réponse. lis sont venus près du feu. Tout le monde était debout. Cela a duré un moment.
Puis les enfants ont commencé à s'asseoir. Les trois motocyclistes aussi. Grégoire a pris son banjo,
Alain sa guitare. Ils se sont mis à gratter. Charlotte a chantonné: "One more blue and one more
25grey." Les trois motocyclistes ont souri. On a passé des oranges. Alors a suivi une des soirées les
plus intéressantes que j'aie vécues ces dernières années. Ils ont raconté qu'ils étaient tous les trois
électroniciens, qu'ils habitaient la grande ville industrielle de Detroit et que chaque vendredi
soir ils partaient sur leurs engins le plus loin possible, à toute vitesse. En général le soir ils
essayaient de trouver des campeurs avec un feu allumé pour faire cuire leur dîner. Mais c' était
30difficile. Ils étaient généralement mal reçus. Les campeurs sont souvent armés et sont dangereux.
Ils ont parlé de leur vie, de ce qu'ils voulaient, de ce qu'était l'Amérique pour eux.
   Le matin ils ont tenu à faire la vaisselle et le ménage du camp. Puis, pour nous remercier, ils
ont organisé dans les dunes le plus fantastique carrousel. Leurs motos se cabraient comme des chevaux
dévalaient les pentes, faisaient naître des feux d'artifice de sable , jusqu'à ce que nous les ayons
35perdus de vue. lis étaient magnifiques. Je ne sais plus leurs noms. Je les aime beaucoup.

uit: Marie Cardinal, La clé sur la porte

* Jean-Pierre, Dorothée: respectievelijk man en dochter van Marie Cardinal
** Easy Rider: film over jonge motorrijders waarin veel geweld voorkomt