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Un Bordelais sur orbite

UN BORDERLAIS SUR ORBITE*

Partie de Cap-Canaveral le 17 juin 1985, la navette spatiale Discovery s'est posée le 24 juin sur
base californienne d'Edwards, après une mission de sept jours qui a été un succès complet.
Parmi les sept membres d'équipage il y avait un Français, Patrick Baudry. Un journaliste du Monde
lui a parlé peu avant le lancement.
 
Cinq ans déjà. Cinq longues années semées d'obstacles pendant lesquelles chaque jour il s'est
interrogé sur la date à laquelle il pourrait enfin inscrire son nom dans le grand livre de la conquête
spatiale. Sélectionné pour partir sur la navette Challenger pour une mission de quatre jours au
début du mois de mars, Patrick Baudry, trente-neuf ans, fut débarqué à la veille du lancement.
5Mission annulée. Problèmes sur la charge utile.
"Dans ce métier, explique-t-il, rien n'est jamais acquis. J'ai rencontré des Américains, à la
NASA depuis quinze ans, qui n'ont pas encore volé, tout comme ce Russe qui, après seize ans
d'entraînement sans jamais participer à une mission spatiale, a échoué à une visite médicale."
Aussi faut-il avoir un certain esprit de sacrifice et beaucoup de ténacité. Comme son camarade
10Jean-Loup Chrétien, premier Français à voler dans l'espace - c'était en juin 1982 - en compagnie
de cosmonautes soviétiques, il ne manque ni de l'un ni de l'autre. Son temps se partage entre les
représentations publiques, les séances d'entraînement, les discussions avec les scientifiques et
puis, pour Ie plaisir, ces pointes de vitesse aux commandes de motos ou de voitures de sport et
ces vols trop rares que l'armée de l'air lui offre d'effectuer sur ses avions de chasse.
15Des années d'enfance passées à traîner sur les aéroports africains (Alger, Casablanca ... ) en
compagnie de son père, météo pour la navigation aérienne, lui vient son goût pour l'aviation.
"Je passais mon temps à écouter les pilotes. J'avais envie de leur ressembler, mais je pensais que
c'était impossible et que je n'y arriverais jamais."
Retour en France à neuf ans. Commence à Bordeaux le temps des études chez les Pères** ,
20puis, après une formation de mathématiques spéciales, l'entrée à l'Ecole de l'air et, en 1970,
un brevet de pilote de chasse.
Pour ce Bordelais, qui aime "être le premier", c'est la gloire. Les heures de vol succèdent aux
heures de vol. Jusqu'à ce jour de 1980 ou le Centre national d'études spatiales (CNES) le retient
pour participer au premier vol spatial habité franco-soviétique. Dix-huit mois d'entraînement
25intense en Union Soviétique, à la Cité des Etoiles, mais une première déception pour ce pilote
d'essai sorti premier de l'Ecole britannique des pilotes d'essai: il ne sera que doublure*** de
Jean-Loup Chrétien .
Il faut encore attendre jusqu'en mars 1984, avant que le CNES désigne le lieutenant-colonel
Baudry pour le vol proposé aux Français à bord de la navette spatiale américaine.
30Septembre arrive. Le candidat astronaute rejoint les Etats-Unis pour un entraînement de quelque
mois qui se prolongera à plusieurs reprises en raison des difficultés rencontrées par la navette.
Patrick Baudry tient bon, même si l'accueil qui lui est fait outre-Atlantique est professionnel
sans plus. "On ne peut pas dire," expliquera-t-il plus tard, "que c'était très chaleureux."
Qu'importe, les relations s'améliorent, et l'astronaute s'installe, rêvant à ce pays bordelais qu'il
35aime tant parcourir. Car il aime à la fois Bordeaux et le bordeaux. Il souhaitait emporter en
orbite deux bons crus de 1975, bien que l'alcool soit en principe interdit. France oblige .. .

Le Monde, 19 juin 1985

* une orbite = een baan om de aarde
** chez les Pères = op een school geleid door paters
*** une doublure = (hier) een invaller, een reserver