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L’homme-araignée

L’homme-araignée

     Avant de donner son accord. Lui qui déteste
  l’asphalte est alors loin de penser que la ville
  va devenir son terrain de jeu préféré. Un con-
  cept est né: celui d’un homme seul, accroché
 55 aux plus belles réalisations architecturales,
  avec la mort sous les pieds. Les images de son
  ascension du City Corp de Chicago font le
  tour du monde. Les sollicitations arrivent, les
  projets se succèdent. Les ennuis aussi.
 660    Les policiers new-yorkais le traitent com-
  me un déséquilibré mental, ceux de Tokyo le
1    Quand il est de passage à Paris, Alain Robert battent de coups, ceux de Kuala Lumpur l’en-
 aime bien donner ses rendez-vous au sommet voient quinze jours au ‘trou’, sans procès, la
 de la tour Montparnasse. Les employés du justice britannique le convoque au tribunal…
 restaurant situé au 56e étage s’amusent, ce65 Chaque fois, il sera libéré, faute de jurispru-
5 jour- là, en le voyant sortir de l’ascenseur. dence. En fait, que lui reprocher? Rien. En
 «Tiens, vous êtes monté normalement aujour- France, en tout cas, il y a un vide juridique.
 d’hui? » Alain Robert sourit, lui qui connaît Ce que fait Alain ne correspond à aucune in-
 bien ce bâtiment - surtout de l’extérieur. De- fraction connue, que ce soit la mise en danger
 puis qu’il s’est fait une spécialité d’escalader70 de la vie d’autrui ou la dégradation des bâti-
10 à mains nues les plus hauts immeubles de la ments.
 planète, la tour Montparnasse est l’un de ses7    Révolté, il prétend l’avoir toujours été.
 buildings favoris. «Gamin, confie-t-il, je voulais être Zorro ou
2    Dix ans ont passé depuis sa première as- Robin des Bois. Pas Alain Robert.» Il n’ac-
 cension urbaine, aux Etats-Unis. Dix ans que75 ceptera jamais la routine d’une vie familiale
15 ce grimpeur s’amuse à narguer la mort pour jugée monotone. «Souvent, les gens survivent
 mieux aimer la vie. C’est sans corde et sans le plus qu’ils ne vivent, jusqu’au jour où tout
 moindre matériel d’assurage qu’il a gravi s’arrête, parce qu’ils sont morts. Mes parents
 quelques 70 bâtiments dans le monde, de ont avancé dans la vie sans aucun but. Enfant,
 l’Empire State Building à la tour Eiffel, de80 je regardais mon père et je trouvais sa vie en-
20 l’Opéra de Sydney à la plus effrayante des nuyeuse. Avoir une femme, des enfants, ren-
 tours, la Sears Tower de Chicago (443 mètres trer tard le soir après le travail. C’était exac-
 de verticale absolue). Son principal regret? Le tement ce que je ne voulais pas devenir.»
 World Trade Center. Al-Qaida ne lui en a pas Adolescent turbulent, à l’école comme en de-
 laissé le temps.85 hors, Alain Robert va trouver dans l’escalade
325    Lui demander pourquoi on devient un un exutoire1) à son mal-être.
 grimpeur de gratte-ciel est sans doute la pre-8    S’arrêter? Pas pour l’instant. «Je ne vois
 mière chose à faire. «C’est une question que pas comment on pourrait l’en convaincre, à
 je me pose souvent… quand je suis en prison, moins de lui couler les deux pieds dans le bé-
 dit-il. J’aimerais avoir une réponse mais je90 ton, dit son frère T 90 hierry. Il m’a toujours dit
30 n’en ai pas. C’est très compliqué de savoir qu’à 40 ans, il s’arrêterait. Il en a aujourd’hui
 pourquoi on est attiré par la verticale et par le 42.» Son principal sponsor l’a obligé à s’en-
 danger. Surtout quand, comme moi, on a corder. «S’il ne le fait pas, je ne lui donnerai
 plutôt peur de la mort.» plus un sou!, menace-t-il. Je ne veux plus
4    Avant de devenir grimpeur des villes,95 qu’il grimpe sous ma marque sans s’assurer.
35 35 Alain Robert a été grimpeur de rochers, et Je suis sûr que s’il réalise les mêmes exploits
 l’un des meilleurs du monde. Dans les années avec une corde, les gens seront aussi contents.
 80, plusieurs de ses réalisations dans le Ils diront même: “Voilà un type bien, quel-
 Verdon et le Lubéron en “solo intégral” - qu’un qui vieillit et qui pense à sa femme et à
 sans corde - ont été saluées par le milieu des100 ses enfants”…»
40 alpinistes. Mais sa réputation ne va pas plus 
 loin que ça. Sa malchance est d’être arrivé «Le Monde»
 après Patrick Edlinger, le pionnier de l’esca- 
 lade à mains nues en France. Par conséquent, 
 la presse s’intéresse très peu à lui. 
545    Tout bascule en 1994 lorsqu’un représen- 
 tant de la marque de montres Sector - parte- 
 naire d’opérations de sports extrêmes à des 
 fins publicitaires - lui propose de gravir un 
 gratte-ciel aux Etats-Unis. Alain Robert 
50 trouve l’idée totalement folle. Puis réfléchit. 

un exutoire = een uitlaatklep