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Née en Corée, adoptée en Belgique

Née en Corée, adoptée en Belgique

11    Je m'appelle Mi Hee Lemoine. Je suis née à Pusan, en Corée du Sud, en 1965. On
2 suppose que c'est en 1965, on ne sait pas exactement. Officiellement,je suis arrivée en
3 Belgique à quatre ans, mais j'avais peut-être deux ans. Je fête mon anniversaire le 5 juin.
4 La seule date qui est sûre, c'est Ie 9 octobre 1969, le jour où je suis arrivée ici. Je viens de
5 fêter mes vingt ans d'adoption. Je suis tombée dans une bonne familie. Quand on est
6 adoptée, il y a une question de chance. Moi, j'ai eu beaucoup de chance, par rapport à
7 d'autres enfants adoptés que je connais.
28    Mes parents ont adopté ensuite trois autres enfants coréens. C'est moi qui ai
9 demandé une soeur. Je me souviens que nous allions au supermarché. J'ai dit: «Nous allons
10 acheter ma soeur?» Je ne comprenais pas comment venaient les enfants; je savais que
11 j'étais venue, mais je ne savais pas comment. Maintenant, nous sommes deux filles et deux
12 garçons.
313    Quand je suis arrivée en Belgique, j'avais des problèmes de santé, comme beaucoup
14 d'enfants adoptés. Je n'avais pas eu assez à manger. La première fois que j'ai ri, c'était à
15 cinq ans et demi. Dans un magazine,j'ai lu un artiele où une adoptée coréenne décrivait
16 l'orphelinat2). J'avais les mêmes souvenirs qu'elle: il y avait des murs sans fenêtres, il faisait
17 froid, il n'y avait pas de chauffage. Le se ui désir des enfants, c'était de partir, d'être
18 adoptés.
419    Comme j'étais parmi les premiers enfants asiatiques,j'ai été victime du racisme. Une
20 maîtresse à l'école primaire me mettait au fond de la classe, dans le coin: je devais
21 apprendre le français, mais elle ne me parlait pas. Mes parents m'ont fait changer de classe.
522    J'ai étudié le dessin pendant cinq ans à l'école Sainte-Marie. Avec le dessin, j'ai
23 réalisé que j'étais asiatique, que je faisais des trucs plus asiatiques que les autres: des
24 dessins qui ressemblaient à un paysage asiatique, par exemple.
625    Un jour, le directeur du centre multimédias de Bruxelles m'a proposé de faire un
26 film sur mon histoire, sur la vie d'une adoptée. C' était dans le cadre d'un concours, «Etre
27 jeune aujourd'hui en Europe». J'ai proposé une histoire un peu autobiographique, un peu
28 imaginaire: c'est l'histoire d'une jeune fille qui écrit à sa mère en Corée. Cela a été accepté.
29 J'ai tourné le film en deux jours, avec un e copine coréenne adoptée. Le film dure huit
30 minutes. J'ai gagné Ie prix, 40 000 francs belges. Il y avait des jeunes cinéastes coréens, qui
31 l'ont vu, qui s'y sont intéressés, qui l'ont emporté en Corée. Je ne sais pas ce qu'ils ont fait,
32 mais la télé coréenne a téléphoné pour dire qu'ils ont fait une émission avec mon film.
733    Quand mon film est passé à la télévision, en Corée ,j'ai pensé: «Peut -être que ma
34 mère le voit.» Si j'étais célèbre, elle entendrait parler de moi, et elle voudrait me
35 rencontrer. La revoir me fait un peu peur. Cela serait peut-être très difficile. J'ai peur
36 qu'elle s'excuse. Vingt ans après, cela ne vaut plus la peine. Je rêve beaucoup de ces
37 re trouvailles. Je me fais une image de cette petite bonne femme ... Mais si elle est
38 complètement différente,je serai malheureuse. J'ai encore l'adresse de l'orphelinat...
d'après Jean-Jacques Greif, dans «Marie Claire», mars 1990

noot 2
l'orphelinat = het weeshuis