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Yves, mon fils

Yves, mon fils

Michèle Sider, directrice de mode du magazine «Femme», a eu l'occasion de rencontrer Lucienne Mathieu Saint Laurent, la mère du grand couturier1) Yves Saint Laurent.
11    «Yves était un enfant extrêmement gai. Il aimait rire et dessiner. A dix ans, il avait
2 déjà fait un portrait de moi. Et puis, il avait son théâtre à la maison, «L'illustre théâtre»
3 comme il l'appelait. Il habillait les personnages de vieux vêtements que je lui donnais et il
4 inventait les dialogues. Ses soeurs et ses cousins étalent ses acteurs.
25    Nous habitions une grande maison à Oran, en Algérie, non loin du quarter arabe.
6 Au marché, Yves était toujours fasciné par ce monde d'odeurs et de couleurs. Ces couleurs
7 vives seront Le secret de son succès. Il adorait la mer aussi. Il nageait, courait sur la plage
8 avec toute une bande d'amis. Beaucoup plus tard, j'ai découvert que ces moments ont été
9 Le côté ensoleillé de son enfance. Le reste du temps il était extrêmement malheureux dans
10 le collège o ü il faisait ses études secondaires. Les autres élèves Le brutalisaient. Le pauvre,
11 il était déjà si différent. Il supportait tout en se disant qu'il serait célèbre un jour et qu'il
12 prendrait sa revanche à sa façon.
313    Yves s'est toujours intéressé à la mode. A trois ans, il pleurait s'il n'aimait pas ma
14 robe. Nous achetions tous les journaux de mode. A quinze ans, Yves était déjà une gloire
15 locale, il faisait les décors des bals du Yacht Club, les costumes de l'école de danse.
416    Et puis il rencontra Michel de Brunhoff, directeur du magazine de mode «Vogue»,
17 qui lui conseilla de venir à l'Ecole de couture de la rue Saint-Roch à Paris. Bien sûr, mon
18 mari aurait préféré qu'il étude à l’université. Mais Yves était si brillant que Michel de
19 Brunhoff demanda à Christian Dior, un des plus grands couturiers français, de le recevoir.
20 Monsieur Dior, charmé par les dessins d'Yves, l'engagea aussitôt. Ce furent deux années
21 Exceptionnelles. De temps à autre, monsieur Dior sélectionnait un de ses dessins, puis
22 Plus leurs.
523    En vacances chez nous, à Oran, Yves me dessinait des robes que nous faisions faire
24 par une petite couturière dans les tissus-) superbes qu'il me rapportait. J'étais toujours si
25 fière, quand je me promenais, habillée par lui de la tête aux pieds avec d'extraordinaires
26 chapeaux qui faisaient sensation.
627    Un jour, monsieur Dior m'invite à la présentation de sa collection et demande à me
28 voir ensuite. C’était fin juillet 1957. Je Le vois encore, élégant et charmant. Il fit sortir mon
29 fils et me dit après quelques compliments: «Ce sera Yves qui prendra ma place.» Je n'ai
30 pas compris tout de suite, mais un mois après il était mort.
731    En effet, Yves a pris sa place et a perdu d'un coup toute sa jeunesse. Pour toujours
32 habillé de vêtements sombres. Fini les fêtes. Pour préparer sa première collection, il est
33 revenu à Oran, s'est enfermé dans sa chambre et s'est mis à dessiner. Le jour avant son
34 départ il nous a montré ses dessins. Il s'agissait de la fameuse ligne trapèze, qui a été un
35 triomphe. A 21 ans on l'appelait «Le prince de la couture». Mais si vous saviez comme cela
36 se pale cher, très cher!...
837    Avant la présentation des collections nous ne parlons jamais de son travail. J'assiste
38 aux deux défilés de mode qu'il présente tous les ans. Autrefois Yves ne voulait pas se
39 montrer à la fin d'un défilé, aujourd'hui ça lui fait plaisir quand les gens l'ovationnent,
40 voilà sa récompense.»


d'après Michèle Sider, dans «Femme» de février 1992
le couturier = de modeontwerper
le tissu = de stof