1 | 1 | | J'ai cinq ans et demi et je fréquente le «jardin d'enfants» de Strasbourg, ma ville |
| 2 | | natale. A mon grand bonheur cette classe est mixte, ce qui est très rare alors. |
2 | 3 | | Ma voisine est une charmante fillette aux cheveux bouclés, qui répond au doux nom |
| 4 | | de Marie-France. Je crois me souvenir que je me suis donné beaucoup de mal pour être |
| 5 | | assis à côté d'elle! Bref, je la regarde avec adoration, car malgré mon jeune âgé je sens |
| 6 | | qu'elle correspond à mon idéal féminin. Déjà je suis sûr qu'il n'y en aura jamais d'autre |
| 7 | | dans mon coeur et que je partagerai toute ma vie avec elle! |
3 | 8 | | Un jour, nous avons une dictée. Chacun de nous fait attentivement son travail mais |
| 9 | | lorsque nous avons terminé et que la maîtresse s'approche pour vérifier ce que nous avons |
| 10 | | écrit, elle dit: «L'un de vous deux a copié sur l'autre!» Je sais que ce n'est pas moi, qui suis |
| 11 | | le garçon le plus honnête du monde. La fillette avec beaucoup d'assurance se défend: «Ce |
| 12 | | n'est pas moi, ce n'est pas moi!» Elle le dit d'une manière très convaincante. Alors moi, je |
| 13 | | suis déclaré coupable: j'ai un zéro pour mon travail... Comme Marie-France a menti, je |
| 14 | | suis obligé de commettre, le lendemain, le seul acte malhonnête de ma vie: j'imite la |
| 15 | | signature de mes parents pour ne pas être injustement puni une seconde fois. |
4 | 16 | | Plus tard, j'ai tiré de cette histoire une leçon très profitable: plus elles sont jolies, |
| 17 | | plus elles sont dangereuses. Donc, méfiez-vous! Conseil que je n'ai cependant pas toujours |
| 18 | | suivi... |
5 | 19 | | La seconde fille dont je suis tombé amoureux, c'est en 1940 que je la rencontre. J'ai |
| 20 | | dix-neuf ans et je passe, comme chaque année, mes vacances dans le Sud-Ouest de la |
| 21 | | France, au bord d'une très jolie plage de l'Atlantique. A la fin du mois d'août, alors que |
| 22 | | les vacances se terminent doucement, je fais la connaissance d'une jeune fille qui, comme |
| 23 | | Marie-France, me paraît être la femme de ma vie. Elle est superbe, très brune et elle a le |
| 24 | | sourire éclatant. Elle accepte de faire une promenade à bicyclette avec moi et |
| 25 | | immédiatement quelque chose se passe entre nous. Le lendemain de cette première |
| 26 | | rencontre, nous prenons rendez-vous, et je suis bien décidé à faire des progrès, même si je |
| 27 | | ne sais pas vraiment ce que cela veut dire! |
6 | 28 | | Nous décidons de nous retrouver dans les dunes, derrière un bois, au milieu de |
| 29 | | fleurs sauvages. J'arrive le premier et j'attends, le coeur battant. Malheureusement, le |
| 30 | | temps passe et elle ne vient pas... Au bout de deux heures, je dois l'admettre: elle ne |
| 31 | | viendra plus. Il n'y a rien d'autre à faire que de retourner. Que s'est-il passé? Pourquoi |
| 32 | | n'est-elle pas venue? |
7 | 33 | | J'arrive tristement au village où je remarque une activité inhabituelle. Des gens se |
| 34 | | sont rassemblés devant la mairie, devant l'église. A chaque coin de mes, des petits groupes |
| 35 | | se sont formés et discutent vivement. Curieux, je m'approche des affiches qu'on vient de |
| 36 | | coller aux murs et j'en lis le contenu: c'est la déclaration de guerre! |
8 | 37 | | Tout à mes amours, je n'avais pas pensé un seul instant que la France et l'Allemagne |
| 38 | | pouvaient en arriver là! Je ne voulais pas y croire. Il était impossible que le monde déclare |
| 39 | | la guerre à mon amour et ma jeunesse. |
9 | 40 | | Je cours vers la villa où ma bien-aimée habite avec ses parents et je reste perplexe en |
| 41 | | trouvant la maison déserte... J'apprends le lendemain seulement par une voisine que ses |
| 42 | | parents l'ont emmenée à Châtellerault. Elle n'avait donc pas pu me prévenir, me laisser |
| 43 | | une adresse... rien...! |
10 | 44 | | Il ne me reste d'elle que le souvenir de son visage, l'éclat de ses rires, la douceur de |
| 45 | | sa voix et la tristesse de mon attente. |