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Nous avons trouvé l'homme des neiges

Nous avons trouvé l'homme des neiges


Antoinette Delyll et le photographe en route pour La Bérarde.

11    Enfin, là, à cinq cents mètres, nous voyons les premières maisons. Nous
2 n'entendons rien, sauf le crissement de nos skis sur la neige. Il nous a fallu six heures
3 pour arriver chez Rémy Turc. Six heures à ski à travers les montagnes. Six heures qui
4 séparent Rémy Turc du monde «civilisé». De novembre à avril, il est seul. Coupé du
5 monde, Rémy, qu'on surnomme «le dernier Turc», passe l'hiver à 1750 mètres au village
6 de La Bérarde. Cinq mille personnes en été. Un habitant en hiver. Il a pour seuls
7 compagnons un chien, trois chats, quatre chèvres, quelques poules et des lapins.
28    Il ne nous a pas entendus venir. Un coup à la porte... Enfin, il sort. Quarante-sept
9 ans, la face durcie par les hivers rudes, les yeux c1airs, il ressemble au paysage sauvage
10 des Alpes. Il nous laisse quelques longues minutes dehors pour nous observer avant de
11 nous inviter à boire un café et un petit verre d'alcool. «C'est mon septième hiver à La
12 Bérarde, dit -il, et la première fois qu'il fait si froid si longtemps. Le thermomètre descend
13 jusqu'à moins trente et ma maison est mal protégée. Il n'y a pas assez de neige.»
314    Rémy Turc vit dans sa cuisine à côté de son fourneau à bois. Parfois les gendarmes
15 ou quelques skieurs viennent lui rendre visite. Mais souvent il reste des mois entiers sans
16 voir personne. «Certains jours, c'est dur...», dit-il.
417    Rémy Turc aurait aimé être moniteur de ski, comme beaucoup d'autres. Il aurait
18 donné des cours de ski à l'Alpe-d'Huez. «Mais voilà! dans ce temps-là je n'avais pas
19 assez d'argent pour me payer une paire de skis.» Il est devenu guide, mais il a eu des
20 difficultés avec le bureau des guides et il a quitté ce travail. Il n'est pas facile, le dernier
21 Turc. Il est trop indépendant pour promener les touristes, il préfère s'occuper de ses bêtes
22 et travailler de temps en temps pour le Club alpin français .
523    Lorsque, en novembre, tout le monde quitte le village , il s'enferme dans sa maison
24 et sort seulement entre dix heures et midi. (L'hiver, à La Bérarde, le soleil ne se montre
25 que deux heures par jour.) «Ça me paraîtrait moins long si j'avais la télé. Un hiver, mon
26 cousin a voulu rester. Mais c'était trop dur pour lui. Un jour, il est parti chercher des
27 cigarettes avec l'hélicoptère de secours. Il n'est jamais revenu .» Depuis, il a appris à ne
28 plus compter sur personne.
629    Rémy Turc parle et parle, il ne peut plus s'arrêter. Tard dans la nuit il sort de son
30 album le portrait d'une jeune femme: «Il y a deux ans, el1e m'a promis de revenir à La
31 Bérarde et d'y rester. Je l'attends toujours.»